Le Grenelle de l'environnement a accouché d'une montagne : un plan obligatoire de rénovation des bâtiments d'un montant de 600 milliards d'euros, qui va sérieusement amputer le pouvoir d'achat des Français. Pour ceux qui ne sont pas familiers de ces chiffres faramineux, disons que 600 milliards c'est le tiers du PIB, ou encore soixante ans de dépenses pour les universités du pays, ou quinze fois le déficit de l'Etat. Ces 600 milliards qui concernent les logements et les bureaux construits et à construire seront étalés sur une dizaine d'années. On en attend une diminution de la consommation de carburants et de CO2 rejeté d'environ 30%. Les lobbies du bâtiment et des industries de la construction (naturellement alléchés par un marché garanti de 600 milliards -achetez des actions de Saint-Gobain !), les médias, les Verts et les bobos applaudissent. Essayons pourtant d'estimer les coûts et les bénéfices de ce plan monumental.
Commençons par faire justice d'un argument souvent mis en avant selon lequel ces mesures créent de l'emploi, luttant ainsi contre le chômage. Cet argument est un gros mensonge par omission. Le rapport du groupe 1 du Grenelle de l'environnement inclut ainsi un encadré qui explique que «les travaux dans le bâtiment en lien avec la maîtrise de l'énergie vont créer de 80 à 100.000 emplois par an». Mais il oublie de dire que ces travaux sont financés par des subventions ou par des dépenses obligatoires des usagers. En l'absence de ces travaux, cet argent-là aurait été dépensé ailleurs, et il aurait aussi créé des emplois, qui sont en quelque sorte éliminés. L'effet net sur l'emploi est positif ou négatif (selon la nature des dépenses) mais il en tout cas faible. Cela est vrai de toutes les dépenses et subventions publiques contrairement à ce que l'on lit si souvent. Elles créent des emplois sans doute, mais l'impôt qui les finance en détruit parallèlement. Au mieux, ces interventions déplacent des emplois, mais elles ne font rien pour le chômage. Sinon, avec plus de 50% du PIB de dépenses publiques, nous n'aurions plus un chômeur depuis longtemps.
D'un côté, les bénéfices du plan, qui sont de deux types : une diminution des achats annuels de fuel et de gaz, une réduction des rejets de CO2 -qui est la justification mise en avant. Les économies de carburants entraînées s'élèveraient actuellement à un peu moins de 4 milliards d'euros par an. Un doublement des prix du pétrole et du gaz les porteraient à environ 8 milliards. Pas de quoi justifier un investissement de 600 milliards. Restent les économies de CO2. Elles s'élèveraient à environ 37 millions de tonnes par an. Ce n'est pas négligeable : c'est 7% des émissions de gaz à effet de serre de la France ou 6% de l'augmentation des émissions chinoises cette année.
D'un autre côté, le coût du plan, 600 milliards d'euros, dont il faut bien comprendre qu'il est un coût pour la France et les Français. Les dépenses obligatoires du plan seront pour partie payées directement par les ménages, pour partie par les entreprises (pour les bâtiments tertiaires), et pour partie par l'Etat sous forme de subventions. Mais ces distinctions n'importent pas beaucoup : une hausse des coûts des entreprises est nécessairement répercutée dans des prix plus élevés et des salaires plus faibles ; et les subventions sont payées par des impôts, qui sont finalement supportées par les ménages. L'idée que la charge des ménages sera allégée par des subventions est absurde : des subventions ou des allègements d'impôts pourront la reporter sur d'autres ménages ou sur les générations futures (par l'augmentation de la dette), la répartir différemment, mais sûrement pas la faire disparaître d'un coup de baguette magique. Au total donc, le plan prévoit un prélèvement de 60 milliards par an dans la poche des Français pendant dix ans. C'est mille euros par habitant, deux ou trois mille euros par ménage.
En échange, les Français récupèrent chaque année 130 ou 140 euros par habitant en économies sur les dépenses d'énergie (un peu plus si les prix du pétrole s'envolent au delà de 200 dollars le baril), plus la satisfaction d'avoir les bâtiments les mieux isolés du monde et de réduire les rejets de CO2 de 37 millions de tonnes par an -et c'est tout. Le jeu en vaut-il bien la chandelle ?
Le jour où ce joli plan a été annoncé, deux autres évènements sont intervenus. Une réunion sur le pouvoir d'achat a mis en évidence une stagnation unanimement condamnée et la nécessité d'augmenter le niveau de vie ; le plan bâtiment n'augmente en rien la production et la consommation des biens et services qui contribuent au niveau de vie. Il fait exactement le contraire, en distrayant à d'autres fins des ressources rares ; et pas qu'un peu : à hauteur de mille euros par personne. Mille euros par an, ça n'est peut-être pas grand chose pour les vedettes de la télévision et la paix de leur conscience écologique, mais c'est beaucoup pour les caissières de supermarchés. Les syndicats le sentent bien d'ailleurs, et on ne les a pas vu faire chorus avec les médias et le patronat. L'autre évènement a été le refus par le Président de la République d'augmenter de deux euros la redevance de la télévision, marquant son légitime souci de ne pas amputer de un euro le pouvoir d'achat de chaque Français. Oui à mille euros de moins au nom du CO2, non à un euro de moins pour la télévision publique. On voudrait être sûr ces choix sont bien compris et bien assumés par les Français et par leurs dirigeants.
Par Rémy Prud'homme, Professeur émérite, Université Paris XII.
Source : http://www.marianne2.fr/