Alors voilà, forcément, parfois on ferme la porte, où plutôt on la claque.
Vous écoutez la dernière chanson de l’album The Dreaming, chef-d’oeuvre de la grande Kate Bush, à mon avis, et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’album se referme avec rage et violence. Tout le rythme de la chanson est fondé sur le bruit de portes claquées, tandis que la femme hurle “sors de chez moi”, revendiquant haut et fort son droit à l’intégrité morale et physique, sa maison incarnant également son corps : “Je suis la concierge chez moi, chéri/ Je ne te laisserai pas entrer, ni pour de l’amour, ni pour de l’argent/ Ma maison, ma joie / Je suis barricadée et terrée et / Je ne te laisserai pas entrer”. Et elle ferme la porte, à clef.
Certains commentateurs (et vous n’imaginez pas à quel point ils sont nombreux !) y voient une illustration du film Shining (elle aurait quelque part indiqué son inspiration), d’autres y entendent un cri de rage contre le viol, d’autres encore comprennent un message de rejet contre les journalistes envahissants. Les trois explications sont intéressantes et ne me semblent nullement incompatibles.
Pour moi, cette chanson est une chanson-talisman, à la façon d’une gargouille moyen-âgeuse. Une déclaration de guerre à autrui quand celui-ci est nuisible. Les gargouilles au Moyen-Âge, ornaient de manière grotesque et effrayante les frontispices des églises pour repousser le mal, le Démon (ce que la voix masculine, en fin de chanson promet insidieusement : “Laisse-moi apporter les songes du démon”). Et le reste de cet album fait la part belle à ce thème, dans des chansons comme Leave It Open, sorte de pendant à Get Out Of My House. Dans cette autre chanson, elle invite, au contraire, à laisser sortir ce que l’on peut avoir de mauvais en soi, au lieu d’essayer vainement de le contenir.
En toute fin de Get Out Of My House, elle atteint le repli complet en annonçant qu’elle se change en mule, puisque cet animal symboliserait (outre l’entêtement) la stérilité… avant de hennir bruyamment (voilà le grotesque, en même temps qu’un véritable coup de génie), dans un accès de folie… La femme, ici, dans un moment de panique, veut demeurer une citadelle d’ivoire imprenable, “a dome of ivory”.
Photographie de Simon Marsden, spécialiste en gargouilles et lieux effrayants…