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Si l tonbe l a leve

Par Tichapo
   Cela fait longtemps que j'ai le projet de nouvelles pages et que je ne m'y mets pas. Le tremblement de terre qui a ravagé Haïti m'a davantage ankylosé tout en me confortant dans l'idée qu'il n'y avait, sur ce modeste blog, rien d'autre à faire que de continuer, tout absurdes que puissent paraître des pages littéraires devant les besoins urgents de la population haïtienne: eau, nourriture, toit... Continuer donc, ne serait-ce que pour rappeler qu'Haïti, ce n'est pas que cela, une catastrophe récurrente, presque permanente, comme les médias le rappellent à l'envi ("une catastrophe qui dépasse l'entendement dans un des pays les plus pauvres du monde"). Haïti a besoin d'aide, de recevoir (loin de moi l'idée de décourager les dons), mais Haïti a aussi à donner, même aujourd'hui, et j'invite tous ceux qui se penchent sur le malheur à ne pas en retirer que la satisfaction de la conscience, mais à s'y intéresser de plus près, et à s'y enrichir de la seule façon qui vaille, pour transformer un tant soit peu la charité en échange.
   Voilà de belles phrases, avec lesquelles ce que je vais proposer ici semblera peut-être un peu en contradiction. En effet, ces derniers jours me sont revenues en tête deux chansons dont je me suis rendu compte qu'elles auraient dû figurer dans les pages sur le chaos et l'espoir, deux chansons de l'artiste haïtienne Toto Bissainthe, disparue aujourd'hui, dont les textes marquent cette oscillation permanente entre désespoir et espoir, ce mouvement qui fait toucher le fond pour s'y appuyer et rebondir. L'une d'elles, la plus connue, chante le deuil d'Haïti, "dèy" en créole. La voici sur You Tube : dèy
   En voici aussi le texte, en créole puis en français:

Dèy-o m ap rele dèy-o

Ayiti woy

Dèy-o m ap chante dèy-o

Ayiti woy

Ayiti cheri men pitit-ou mouri

Men lòt yo toutouni

Sa ka pòte dèy-la pou wou woy

Ayiti Tonma

Men san-w lan dyaspora

Men peyi-a ap kaba

Sa ka pòte dèy-la pou wou woy

Ayiti je fèmen

Ayiti desonnen

Ayiti detounen

Sa ka pòte dèy-la pou wou

Ayiti m rele w

M rele w pou wou rele m

Fok ou rele tout san-w

Fok peyi-a sanble

Woy woy pou konbit-la

Traduction (avec quelques variantes, incertitude oblige, ne pas hésiter à me corriger si nécessaire):

Deuil, je crie le deuil d'Haïti

Deuil, je chante le deuil d'Haïti

Haïti chérie, voici que tes enfants sont morts

Voici que les autres sont tout nus

Qui va porter le deuil pour toi?

Haïti, ton sang est en diaspora (à l'étranger)

Voici que le pays agonise

Qui va porter le deuil pour toi?

Haïti aux yeux fermés

Haïti étourdie

Haïti detournée (zombifiée? Aliénée?)

Qui va porter le deuil pour toi?

Haïti, je t'appelle

Je t'appelle pour que tu m'appelles

Il faut que tu appelles (rassemble?) tout ton sang

Il faut que le pays se rassemble pour le coumbite (rassemblement de paysans pour un travail collectif)

   La seconde chanson reprend les mêmes thèmes, le constat du chaos, puis un appel à l'espoir, cette fois-ci formulé par les ancêtres, ceux qui ont lutté pour la liberté d'Haïti. Un appel à la réaction, au travail, à se ceinturer les reins pour se raidir le corps, prêt à l'effort. Et puis cette phrase: "Souviens-toi de ce que fut Haïti; c'est la mère de la liberté, si elle tombe, elle se relèvera." Cela montre à quel point ce mouvement de balancier, qui permet de réagir face à la catastrophe mais qui inscrit également celle-ci dans la normalité haïtienne, imprègne les mentalités.

   La chanson s'intitule "Rasanbleman". Je ne sais pas si elle est téléchargeable quelque part. Elle figure en tout cas avec la première sur un album intitulé "Toto Bissainthe chante Haïti" (Arion, 1989). Voici le texte:


M pral fè on rasanbleman

Pou m konnen sa k rive peyi mwen, anye-woy

Adye vye frè m yo nou tonbe nan on deblozay

Nan on tèt chaje ki mare ki makonnen

Paw òl sila tro f ò pou mwen woy, anye-woy

Nan mache nan nuit sa la mwen wè yo

Nan mache nan nuit sa la m reve yo

Nan mache nan nuit sa la tout vye nèg maron rele m yo di mwen

Pa criye ti manman pa criye

Sonje tè Dayiti sa l te ye

Se manman libète

Si l tonbe l'a leve

   Je recommande aussi l'album Coda, enregistrement d'un concert donné au New Morning, sur lequel figure entre autres "Ayiti, m pa renmen w ank ò" ("Haïti, je ne t'aime plus"), ou encore "Supermarket" et "Dèy".

   J'ai donc fait ce que je craignais un peu, c'est-à-dire présenter des oeuvres de circonstance qui vont certes révéler le talent artistique que recèle le pays mais confirment égalemet dans une certaine mesure les images qui s'imposent aujourd'hui. Il faut donc que je me dépêche de présenter autre chose de totalement indécent: de la joie et du rire.


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