Dimanche, le président s'était caché dans l'Océan Indien pour souhaiter ses voeux de bonne année à l'Outre-Mer. Il a laissé Claude Guéant s'immiscer dans le débat sur le Niqab, Eric Besson présenter ses voeux et son bilan des expulsions de sans-papiers. Il a voulu éteindre les polémiques sur la double rémunération d'Henri Proglio ou la marginalisation de la France en Haïti. Il a laissé Fillon et Wauquiez gérer la perspective insoluble d'un million de chômeurs en fin de droit cette année. Malaise social, précarité, éthique de gouvernance, Sarkozy a-t-i peur des vrais sujets ?
Immigration, ou la Sarkofrance nauséabonde
Claude Guéant, secrétaire Général de l’Elysée, a fait une détestable proposition pour qui se sent encore républicain. Lors de sa dernière interview, il a proposé de lier la naturalisation au refus de porter la Niqab. Qu'importe si les deux tiers des femmes intégralement voilées sont, selon la police, françaises. On appelle cela une loi d’exception : l’abandon du niqab contre l’accès à la nationalité française a quelque chose de révoltant, peu importe ce que que l’on pense du vacarme actuel sur l’interdiction du port de la Burqa en France. Xavier Bertrand s'est saisi de la proposition, tout heureux d'alimenter un vacarme inutile qui distrait l'attention médiatique des vrais sujets. Quelques jours auparavant, Eric Besson avait déjà suggéré que les jeunes Français acceptent une «charte des droits et des devoirs» à 18 ans. Le ministre a présenté ses vœux, lundi dernier. Le ministre est content, mais peu soucieux des messages contradictoires qu’il délivre à longueur de semaines pour rester sur le devant de la scène médiatique. Sommé de recadrer le débat identitaire par Nicolas Sarkozy voici 3 semaines, Eric Besson s’efforçait depuis de souligner combien la Sarkofrance reste clémente avec ses immigrés. Il allait même jusqu’à valoriser les nombres élevés d’immigrés légalement accueillis sur le territoire et de naturalisations. Lundi, le son de cloche a légèrement évolué. Eric Besson voulait que la presse retienne que l’immigration légale a diminué en 2009. Il faut avouer que Marine Le Pen avait houspillé son laxisme lors de l’émission A Vous de Juger, jeudi soir sur France 2.
En 2009, la France a accueilli 182 075 immigrés légaux (versus 186 483 en 2008), dont 9 221 au titre de l’asile (+20,6% sur un an), 51 238 pour des études (+1,9%), 31 337 pour motifs économiques (-4,7%) et 80 045 pour motif familial (-7,8%). L’UMP a félicité le ministre. Ce dernier a expliqué que la crise avait découragé nombre de migrants, surtout au sein de l’Union Européenne: « Au cours de l’année 2009, 108 275 ressortissants étrangers ont acquis la nationalité française, soit un niveau presque égal à celui de 2008. Le nombre annuel de naturalisations atteint 4,4% de la population étrangère, contre 2,2% en Espagne, 2% au Royaume-Uni, 1,6% en Allemagne. Ces résultats placent la France en tête des pays européens pour l’acquisition de la nationalité et démontrent que la France reste une Nation ouverte. »
L’immigration tant familiale que professionnelle a donc baissé. Le nombre d’expulsions a été précisé : 29 288 en 2009, sans que le ministre ne fournisse de détails sur l’origine géographique ni les lieux d’expulsions (France métropolitaine versus outre-mer). Sur la base de statistiques partielles (14 000 sur 29 000 expulsions), on savait qu’un tiers des expulsés étaient Roumains, donc Européens et susceptibles de revenir en France à la première occasion et sans contraintes.
Sarkozy se cache dans l'Océan indien.
Poursuivant sa tournée des voeux, Nicolas Sarkozy s'est adressé à l'Outre-Mer. Trop peureux pour aller se frotter aux turbulentes Martinique et Guadeloupe, il a choisi la facilité. Mayotte, lundi dernier, était un terrain de jeu idéal. En mars 2009, 93% des Mahorais ont voté la transformation de leur territoire en 101ème département français. L'occasion pour Sarkozy de rappeler que ce rattachement normalisé à la République inclue des «devoirs». Il pouvait fustiger les «15 000 travailleurs clandestins», le nombre record d'expulsions qui permet de gonfler facilement les statistiques d'éloignement de son ministre de l'Identité Nationale. mais pas un mot sur l'insalubrité des zones de rétention, pourtant dénoncée, images à l'appui, voici un an. Pas un mot non plus sr le malaise social et la vie chère. Le lendemain, il était à l'île de la Réunion, vanter les mérites de la voiture électrique et de l'énergie solaire. Loin de la métropole, Sarko est toujours très écolo : la Réunion sera le «laboratoire grandeur nature de la mobilité du XXIe siècle, propre, silencieuse et durable ». Inaugurant un centre photovoltaïque qui ne produit de l'électricité que pour 800 familles, il a prôné « l’autonomie énergétique» du territoire. La métropole aura les centrales insécures, les îles d'outre-mer les panneaux solaires... Sarkozy veut s'offrir à bon compte une virginité écologique sur le dos de DOM-TOM démunies. Et qu'importe si l'île devra importer par milliers les nouveaux véhicules électriques Renault dès 2011.
De retour à Paris, Sarkozy a pu écouter un Jean-Louis Borloo mal à l'aise lui exposer, en conseil des ministres, les contours de la nouvelle taxe carbone. On prend les mêmes et on recommence. Le ministre du développement durable maintientle tarif de 17 euros par tonne de CO2 émise, le principe, injuste, de bonus-malus forfaitaire et non progressif pour les ménages, et l'exonération partielle de certains secteurs comme l'agriculture et la pêche (75% de réduction) et ... le transport de marchandise (35% de réduction). Quant aux 1081 entreprises les plus «carbone-polluantes», le gouvernement reporte à février sa «concertation» avec les acteurs concernés.
La précarité se cache en Sarkorance
Ni à Mayotte, ni à la Réunion, Nicolas Sarkozy n'a osé parler précarité, chômage, fin de droits. Les Mahorais attendaient pourtant qu'on leur explique s'ils bénéficieraient des mêmes avantages sociaux que les métropolitains. La précarité est un sujet auquel tout le monde pense, mais que le gouvernement évoque rarement et cache toujours. Il y a quelques semaines, un rapport sur la « Pauvreté, précarité, solidarité en milieu rural » a été publié, une étude sur cette « France des invisibles », où l'on peut lire que les 11 millions de ruraux que compte notre pays sont plus souvent pauvres, oubliés des structures d'aide sociale. Quand il présentait ses voeux à la France rurale, le 14 janvier dernier, Nicolas Sarkozy n'a pas prononcé une seule fois le mot précarité. Il a totalement occulté le sujet, préférant louer ses bonnes intentions, sa réforme de la taxe professionnelle ou l'accès au haut-débit. Le gouvernement est également resté très discret sur l'augmentation du nombre de faillites d'entreprises (+11% en 2009). Et la formidable envolée du nombre de créations d'entreprises, grâce au statut d'auto-entrepreneur depuis janvier 2009, ne saurait masquer le fait quà peine un autoentrepreneur sur 5 avait déclaré un chiffre d’affaires à la fin de l'année dernière.
A Paris, deux réunions sans issue se sont tenus entre partenaires sociaux sur le sort du million de chômeurs en fin de droits. 38 % seulement de ces derniers auront accès à une aide sociale. Les autres, soit quelques 600 000 personnes d'ici la fin de l'année 2010, exclues de tout soutien, seront livrés à leur sort si l'Etat et l'assurance chômage ne font rien. Le gouvernement évacue le problème. Pour Laurent Wauquiez, c'est une question de répartition des sommes prélevées par l'assurance chômage. On oublie un peu vite que la défiscalisation des heures supplémentaires a détruit des centaines de milliers de postes intérimaires ou en CDD dès avril 2008. Un an plus tard, la fausse amélioration du dispositif d’indemnisation des chômeurs donnait accès plus tôt à l'indemnisation (après 4 mois de travail contre 6 mois précédemment), mais plafonnait uniformément à 23 mois la durée maximale d’indemnisation sur la durée d'affiliation à pôle emploi. Résultat, nombre de salariés précaires devenus chômeurs constituent le gros des bataillons des « fins de droits. » En 2008, 45% des chômeurs en fin de droits étaient d'ex-CDD, et 15% des ex-intérimaires.
Les « affaires » reprennent
Nicolas Sarkozy a du faire pression sur Henri Proglio, qui comptait cumuler deux rémunérations, l'une chez EDF, l'autre chez Veolia, pour quelques 2 millions par an. La polémique enflait depuis lundi, et rappelait le mauvais souvenir des affaires Jean Sarkozy à l'EPAD en octobre dernier. Proglio accompagnait Nicolas Sarkozy à la Réunion, la discussion fut facilitée. Les responsables de Sarkofrance, de Christine Lagarde à Jean-François Copé, s'échinaient à justifier l'injustifiable. De retour à Paris, le président d'EDF annonce qu'il renonce aux 450 000 euros annuels que les administrateurs de Véolia lui avaient accordé. Les contribuables et les usagers d'EDF paieront seuls la double activité d'Henri Proglio, tout comme sa retraite chapeau à 13 millions d'euros. Le problème reste entier. Le conflit d'intérêt est manifeste, entre Véolia, entreprise privée tantôt concurrente, tantôt cliente d'EDF, et EDF, service public aux bénéfices de tous. S'ajoute la guerre ouverte et brutale entre Anne Lauvergeon, la présidente d'Areva, et le patron d'EDF sur la stratégie de la filière nucléaire française. François Fillon a laissé 15 jours aux deux dirigeants pour se mettre d'accord. Sinon, il «tranchera». Dans quel sens ? Les jours d'Anne Lauvergeon sont bel et bien comptés.
Autre couac, le secrétaire d'Etat à la Coopération Alain Joyandet a eu l'indécence de critiquer l'omniprésence américaine en Haïti. Dimanche, puis lundi, Joyandet a répété sa bourde: «J'espère que les choses seront précisées quant au rôle des Etats-Unis. Il s'agit d'aider Haïti, il ne s'agit pas d'occuper Haïti». Haïti compte ses morts, près de 100 000. L'administration Obama a mal pris la critique. Le président a proposé qu’un trio Etats-Unis-Brésil et Canada s’organise pour diriger les opérations de sauvetage, un coup dur pour la diplomatie française, si prompte à mettre en scène le volontarisme présidentiel de Nicolas Sarkozy.
Plus discrète, l'affaire Albert Frère refait surface. L'homme d'affaires, proche de Nicolas Sarkozy, est soupçonné d'avoir bénéficié d'un achat par la Caisse des Dépôts, à un prix complaisant, de ses parts dans l'entreprise de restauration rapide Quick, en 2006 (600 millions d'euros de plus-value), afin de pouvoir conforter sa position dans l'actionnariat de Suez que Nicolas Sarkozy souhaitait marier avec GDF. Une plainte a été à nouveau déposée en juin dernier, après un non-lieu prononcé en 2008 par le Parquet.
Lundi prochain, Nicolas Sarkozy sera sur TF1. la première chaîne française lui ouvre son journal télévisé, dès 20 heures, avec Laurence Ferrari, puis lui laisse 90 minutes supplémentaires pour débattre avec de « vrais » Français sélectionnés par la chaîne, et l'aide de Jean-Pierre Pernault. Nicolas Sarkozy n'aime que les exercices de communication contrôlés. Il fuit la contradiction des journalistes curieux. Sur TF1, il sera en terrain facile.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?