Attention, je crois que ce DVD existe aussi avec une autre jaquette.
Je viens de faire une grande découverte : Pirandello n’était pas seulement un homme de théâtre, c’était aussi un grand nouvelliste. Enfin, grand, je ne sais pas, je n’ai pas encore lu ses
nouvelles, mais je n’en doute pas une seconde.
Belle révélation, que je dois à un DVD emprunté à la médiathèque municipale.
Le nom de Pirandello ne figurait même pas au recto de la jaquette : il n’y avait que Kaos et Taviani. C’était très résumé, mais ça m’a suffi : Taviani, ce sont les frères Taviani, Paolo et Vittorio. Deux réalisateurs italiens pour lesquels j’ai une grande admiration. Au dos, j’ai découvert que ces quatre contes siciliens étaient librement adaptés des nouvelles de Pirandello. Pirandello, des nouvelles ? Je me suis demandé si c’était le bon Pirandello. Mais oui, c’était Luigi, c’était lui. Et il est né au lieu-dit « Le Chaos » en Sicile, c’était vraiment lui.
Assez curieusement, Pirandello ne donnait pas grande importance au théâtre, c’est son théâtre qui en a pris tout seul. Il se sentait plus conteur, et le disait sans détours, notamment à son fils : « Le théâtre, comme tu sais, ne me tente pas beaucoup. Je fermerai cette parenthèse théâtrale pour me remettre à mon travail de narrateur, plus naturel ». C’est comme J.L. Borges qui considérait que sa vraie oeuvre, celle destinée à passer à la postérité, c’était sa poésie : les nouvelles, ce n’était pour lui qu’un divertissement (je rajouterais volontiers « au sens pascalien », ne serait-ce que pour faire chic). C’est comme Tchekhov aussi, bon nouvelliste, triste de voir son théâtre lui faire de l’ombre. Ce qui prouve, dans les deux derniers cas, qu’un auteur est parfois le moins bon juge de son oeuvre.
Je ne vais pas vous recommander de vous ruer sur toutes les nouvelles de Pirandello : il en a écrit 237, sans compter les inédites posthumes. Il voulait en faire un recueil comme un grand almanach, proposant au lecteur une nouvelle par jour, pendant un an. Ce que je vais faire, c’est me ruer sur le recueil paru chez Gallimard — s’il est à la médiathèque, car en ce moment je suis aussi désargenté que Pirandello avant sa consécration par le Prix Nobel. C’est peut-être bon signe, mon Prix Nobel ne devrait plus tarder. Ou peut-être même les Palmes académiques.
Je relis ce billet, et je constate que je n’ai même pas parlé du film des frères Taviani auquel je dois tant. C’est un film magnifique, âpre et barbare, pas sicilien pour rien. Admirables plans, très souvent larges : on ne filme plus assez en plan large, on a peur de faire américain. C’est pourtant très théâtral une petite silhouette qui court au milieu d’un paysage.
Les quatre contes sont très différents. Un terrible mélange de folie
et de réalisme. Mais c’est l'extrême réalisme qui paraît fou ("Requiem" et "L'autre fils"), et la folie qui paraît réelle ("Mal de lune").
Le dernier, « Entretien avec la mère », est un long dialogue de Pirandello avec sa mère défunte. Tout pour barber, non ? Non, pas du tout : le dialogue est dense,
délicat. Du grand théâtre, peut-être. Je vous en donne juste un extrait. En italien d’abord, parce que c’est plus joli. En français ensuite, parce que c’est plus clair.
Sento dentro, ma come da lontano, la sua voce che mi sospira :
“Guarda le cose anche con gli occhi di quelli che non le vedono più ! Ne avrai un rammarico, figlio, che te le renderà più sacre e più belle”.
J’entends en moi, mais comme venue de loin, sa voix qui soupire :
« Regarde aussi les choses avec les yeux de ceux qui ne les voient plus. Tu en auras un regret, fils, il te les rendra plus sacrées et plus belles ».
Superbe, non ? Je vais reprendre le manuscrit de mon prochain roman avec les yeux de ceux qui ne le voient plus. Peut-être que ça le débloquera.