Cher lecteur,
Dans la série "ces décès bien tristes, m'âme Pichon, mais qui enfin ne nous font ni chaud, ni froid, et en parlant de chaud et froid, couvrez-vous bien ce matin, y'a Evelyne Dheliat qui prédit que ça va peler", permets-moi d'en rajouter une couche (la dernière, c'est promis, sauf si par miracle Johnny Hallyday venait à casser sa pipe dans les semaines qui viennent, ce qui reléguerait aussitôt la Crise© , les cent mille victimes haïtiennes, le scandale du salaire de Proglio ou le million de chômeurs en fin de droits tout à la fin des journaux télévisés, entre le tirage du Loto et l'arrivée du Tiercé), permets-moi disais-je d'en rajouter une couche et de te faire part, avec une tristesse toute relative mais authentiquement teintée de nostalgie, du décès quelque peu prématuré de Tetsuo Narikawa, le premier janvier 2010, à l'âge de 65 ans.
Il ne s'agit pas là d'un quadragénaire pervers et libidineux, amateur de petites culottes de lycéennes (image stéréotypée du Japonais mâle adulte largement répandue dans nos sociétés par trente années de dessins animés nippons tels que City Hunter), ni d'un génial créateur de dessins animés aussi abscons que visuellement époustouflants, ni même d'un obscur chef d'entreprise venu du Soleil Levant et qui serait devenu célèbre pour s'être fait seppuku en public à la télévision suite à la perte, par son entreprise, d'un demi-point d'indice Nikkei à la Bourse de Tokyo.
Non.
Tetsuo Narikawa était apparemment connu chez les initiés pour sa pratique des arts martiaux, et pour être le fondateur et président de la Ligue Internationale japonaise de Karaté.
Mais cette information risque de te laisser de marbre, lecteur. En tout cas, je t'avouerai que de mon côté, elle m'a fait autant d'effet que si on m'avait annoncé que le bonhomme avait créé, au fin fond de l'Ariège et en compagnie de rescapés de la Secte Moon, un club d'adorateurs de carpes Koï de la variété Asagi-Shusui.
"Mais alors", me diras-tu, légèrement agacé (et tu auras bien raison), "quel est l'intérêt de publier un billet consacré à la mort d'un vulgaire bouffeur de sushis dont le nom ne dit rien à personne, à part peut-être à Grand Corleone (mais c'est parce qu'il aime, lui aussi, porter des robes amples dans des dojos saturés d'une saine sueur et résonnant de maximes telles que Les fleurs s’ouvrent, les papillons viennent, ou encore Celui qui attrape mouche avec baguette, celui là peut tout réussir)?"
(Au passage, tu remarqueras que je te laisse l'entière responsabilité de ce terme odieux de "bouffeur de sushis" que tu viens d'employer et qui relève, d'après moi, de l'ignorance la plus crasse et de l'inculture la plus consternante. Tout comme je me démarque immédiatement de tes propos concernant l'attirance de mon frère pour les robes amples.)
Pourquoi, te demandes-tu donc.
Eh bien, ami lecteur, tout simplement parce qu'en ces temps troublés au cours desquels la terre tremble, où les mers sont saturées de mercure et de plomb, où les Français sont capables d'élire un croisement d'Aldo Maccione et de Christian Clavier à la tête de l'Etat, et où l'on peut faire passer une banale grippette pour un retour de la Peste Noire dans le seul but d'augmenter la marge bénéficiaire de quelques grands laboratoires, en ces temps particulièrement difficiles, mon opinion est qu'il ne faut jamais perdre une occasion de sourire, voire de rire.
Or, vois-tu, lecteur, Tetsuo Narikawa (paix à son âme), pour toute une génération de Français qui, justement, auraient bien besoin de rigoler un peu entre deux convocations chez Pôle Emploi et trois avis d'expulsion, c'est ça lui:
Oui, Spectreman est mort, lecteur.
Et en dehors de la douleur que cette terrible nouvelle est susceptible de générer dans le coeur de quelques centaines de grands enfants trentenaires n'ayant jamais réussi à s'adapter aux divertissements modernes, tu ne pourras que m'approuver quand je conclurai cette note en t'assénant cette vérité brute mais indéniable: même mort, ce super-héros modeste et profondément pathétique aura réussi, en quelque sorte, à faire une dernière fois le Bien autour de lui et à apporter aux innocents Terriens que nous sommes un peu de réconfort.
Car de toi à moi, sans faux-semblant, les yeux dans les yeux, ne nie pas, ami lecteur: je t'ai entendu braire hystériquement tout le long de cette admirable séquence vidéo.