Entretien d’embauche en anglais – troisième et dernier épisode

Par Evainlondon

L’entretien avec Sharon, la responsable des ressources humaines, se déroule sans incident notoire – les cinq premières minutes. C’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle en arrive, perplexe, à mon CV :

- Votre school of management… c’était une licence ou une maîtrise ?

Je réfrène une envie de hurler « C’est une super école, t’en as jamais entendu parler, espèce de xxx ? ». Révéler ma vraie nature (colérique et instable) me paraît en effet peu indiqué à ce stade de l’entretien. Je passe donc sous silence :

- Quatre années de collège obnubilées par la perspective d’intégrer un bon lycée – écrémage oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec mes lunettes à quadruple foyer, je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
- Trois années de lycée obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne classe préparatoire – dossier oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec ma coupe à la Jackson, je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
- Deux années de classe préparatoire obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne école – concours oblige, j’ai privilégié l’excellence scolaire sur l’épanouissement amoureux. Pourtant, avec mon look 70s décontracté (chapeau vert et manteau en peau de mouton),  je suis sûre que j’aurais fait un malheur.
- Trois années d’école obnubilées par la perspective d’intégrer une bonne entreprise – recherche d’emploi oblige… euh, non, là, je n’avais vraiment plus d’excuse.

Au lieu de noyer Sharon sous quinze ans de frustration (la pauvre, sa question n’était pas absurde : ici, la plupart des jeunes diplômés commencent leur vie professionnelle avec une licence en poche… on est bien loin du merveilleux système scolaire français), je souffle un grand coup et réponds, sourire aux lèvres :

- Non, c’est un mastère en management.

Sharon a l’air de se satisfaire de cette réponse comme des suivantes. Elle doit même se dire que ça vaut le coup de sortir le grand jeu, puisqu’à la fin de l’entretien, elle me présente fièrement :

- la structure : 

- le poste : « Sous-grouillotte dans le service d’étude de compétitivité de salaires de SuperConseil, constitue vraiment une opportunité en or ». « Ah bon ? » réponds-je, interloquée par cette affirmation quelque peu péremptoire. « Tout à fait, rétorque Sharon sans se laisser démonter. Par exemple, vous pourrez aider les grouillots et grouillots améliorés à préparer leurs présentations Powerpoint ». Ah.

- et surtout, surtout, les fameuses valeurs de l’entreprise : « Nos trois valeurs sont l’innovation, l’honnêteté et la fiabilité », m’explique Sharon, avant d’ajouter sans ironie apparente : « Ces corporate values nous distinguent radicalement des autres cabinets de conseil du marché ». Qui sont, eux, obsolètes, fourbes et incompétents ? Passons. A ce stade, j’ai subi suffisamment de lavage de cerveau pour être remontée à bloc pour mon entretien final avec Joe et Mark – respectivement ponte adjoint et grouillot amélioré.
Lorsqu’ils rentrent dans la salle de réunion où je croupis depuis maintenant presque quatre heures, je manque tomber de ma chaise.
C’est Laurel et Hardy.

Joe est petit et tout maigre, tandis que Mark doit peser dans les 130 kilos pour 1,90 mètre. Il me faut puiser dans mes dernières réserves d’énergie et de pipeautage pour boucler l’entretien sans dire d’ânerie – ni appeler mes interlocuteurs par leur nom de scène. Quarante minutes plus tard, mon calvaire s’achève enfin :

- Eva in London, nous vous tenons au courant de la suite très rapidement, m’assure Laurel en me serrant la main.
- Merci beaucoup, et à bientôt, Laurel… euh, pardon, Joe.

Il ne me reste plus qu’à croiser les doigts pour être embauchée, non par choix, mais par élimination. On ne doit pas quand même pas être très nombreux à avoir survécu à plus de quatre heures d’examens – pardon, d’entretiens ?