La “répudiation” tardive de Rachida Dati n’aura pas suffi à couper le feu sous la marmite du petit monde de la justice. L’exaspération n’est plus feutrée mais désormais affichée au grand jour. Fait rarissime, l’audience solennelle de la Cour de cassation, le 14 janvier dernier, a été l’occasion pour des centaines de magistrats, avocats et fonctionnaires de clamer ouvertement leur ras-le bol. Appelé à jouer les pompiers de service dans une ambiance rappelant le congrès des maires de fin d’année dernière, François Fillon a été accueilli par un slogan des plus explicites : “Assis, debout, mais pas couchés, non à une justice aux ordres“.
Jean-Louis Nadal, procureur général auprès de la Cour de cassation soit, le plus haut représentant du ministère public en France, a sonné le tocsin enestimant que le statut du parquet doit être reconsidéré. La suppression programmée du juge d’instruction, dont les pouvoirs d’enquête doivent être transférés à des procureurs marqués par un lien de subordination avec la Chancellerie, constitue la goutte qui fait déborder le vase.
Signes de l’ébullition du monde judiciaire, trois syndicats de magistrats ont appelé dernièrement au boycott de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Paris en protestation “contre une reprise en main de la magistrature et une paupérisation de la justice”. De leur côté, le Conseil national des barreaux (CNB) qui représente les 50.000 avocats de France, et l’Union syndicale des magistrats ont créé un groupe de travail sur la réforme de la procédure pénale.
Dans ce climat “pré- insurrectionnel”, les acteurs de la justice appellent à la tenue d’états généraux de la justice pénale. Ce qui est principalement en cause, c’est certes la question de l’indépendance du parquet, gage du non étouffement des affaires politico-judiciaires, mais au-delà, l’indépendance de la justice dans son ensemble au moment où se multiplient des nominations de plus en plus ouvertement politiques.
“Nous sommes devant ces projets de nominations comme des vaches regardant passer un train. (…) Cela s’est toujours remarqué mais plus que jamais avec les élites judiciaires ou décrétées telles sous ce président de la République” observait dernièrement dans un entretien au Monde, le blogueur et avocat général près la cour d’appel de Paris, Philippe Bilger. Directement visé, Philippe Courroye, procureur et ami proche déclaré de Nicolas Sarkozy. Le procureur de Nanterre qui a vu lui échapper au dernier moment le poste stratégique de procureur de Paris est au cœur d’une vive polémique au sein de son propre tribunal qui s’est manifestée par un boycott de son discours prononcé à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée.
Toutes ces tensions sont avivées par la faiblesse des moyens alloués au fonctionnement ordinaire de la justice. A cet égard la refonte de la carte judiciaire, présentée au départ comme un acte de rationalisation, apparaît de plus en plus comme un cantonnement dans la misère de l’appareil judiciaire.
Ce sentiment largement partagé de démantèlement de la justice et de remise en cause de l’indépendance de la justice a rendu possible l’improbable : l’union sacrée de huit syndicats et associations de magistrats qui promettent d’ores et déjà une année 2010 très active.