Ted Carpenter – Le 22 janvier 2010. Les partisans de l’invasion et de l’occupation de l’Irak ont souvent souligné la réussite que représente la création d’un pays libre et démocratique. Le choix des dirigeants politiques grâce à des élections libres et l’établissement d’un système juridique qui protégeait les libertés fondamentales contrastaient largement avec la dictature éhontée de Saddam Hussein. En effet la naissance d’un Irak démocratique était un des rares accomplissements que les bellicistes pouvaient citer aux Etats-Unis pour justifier la perte de 4200 américains et 700 milliards de dollars.
Aujourd’hui, même cette réussite semble être de plus en plus précaire. Le gouvernement du premier ministre Nouri Al-Maliki fait en effet preuve d’un comportement autoritaire quelque peu gênant, et ce, à plusieurs égards. L’incident le plus récent a été le 14 janvier relatif à la décision de la Haute Commission Électorale Indépendante d’interdire à plus de 500 candidats, représentant plus de quinze partis différents, de se présenter aux élections du 7 mars. Cette purge était même plus importante que la recommandation originelle de la Commission parlementaire de Justice et des Comptes d’interdire 439 candidats.
Dans quasiment tous les cas, la justification officielle pour exclure ces candidats et leurs partis était les liens avec l’ancien parti Baath de Saddam Hussein. Certaines de ces allégations sont sans nul doute vraies, mais les deux commissions de sélection semblent avoir appliqué des critères très larges pour évaluer ce qui constituait des liens illicites à l’ancien régime. Dans de nombreux cas, les liens était au mieux, très minces, et barraient la route à des individus qui était soit des fonctionnaires baathiste en bas de l’échelle ou n’avaient simplement que des liens non officiels avec le parti.
Comme on peut le suspecter, étant donné la domination sunnite du régime baathiste de Saddam Hussein, la plupart des candidats refusés aujourd’hui sont sunnites. Puisque les membres de la Commission de Justice et des Comptes sont essentiellement chiites et kurdes, les plaintes pour discrimination ne se sont pas faites attendre. Et bien que la Haute Commission Électorale soit en apparence indépendante et non partisane, les hommes politiques sunnites furieux ont clamé que cette commission est aussi truquée.
Cet élan pour disqualifier tant de candidats a exacerbé les tensions déjà vives entre le gouvernement très largement chiite de Maliki et la minorité sunnite irakienne. Des dirigeants sunnites menacent de boycotter les élections de mars, ce qui serait inquiétant. Le boycott sunnite des élections de 2005 avait déjà été le catalyseur des tensions communautaires et d’un pic de violences, menant le pays au bord de la guerre civile.
Barrer la route aux candidats sunnites n’est pas la seule action du gouvernement Maliki qui a paru despotique. Ces derniers mois, les autorités de Bagdad ont sévi à plusieurs reprises à l’encontre des Comités d’éveil, ces groupes sunnites que les Etats-Unis ont aidé à créer et ont généreusement financé, dans le cadre de la stratégie de renforcement de 2007 et 2008. Les arrestations de centaines de membres de ces comités, y compris des dirigeants de premier plan, ont nourri les suspicions quant à l’objectif du gouvernement Maliki de créer une dictature chiite et de faire payer toutes les atrocités du régime de Saddam Hussein commises à l’encontre des populations chiites.
Mais les tendances autoritaires de Mailiki ne s’expriment pas uniquement à l’égard de la minorité sunnite. Le gouvernement a harcelé et tenté de museler les médias de l’information et quiconque considéré comme critiquant son action. Des représentants de l’autorité ont lancé des poursuites judiciaires à l’encontre de journalistes pour des commentaires diffamatoires (interprétés de manière large). Le gouvernement Maliki a aussi fait passer une loi pour fermer les canaux de médias qui « encouragent » le terrorisme et la violence. Cette même loi impose la même punition pour le fait d’encourager des « tensions » - une catégorie creuse et bien pratique qui permet au gouvernement d’interdire des médias critiques selon son loisir.
En plus de cela, il y a désormais de nouvelles règles pour émettre les permis pour camions TV satellite, pour censurer des livres et contrôler les cybercafés. Reuters a pu conclure que de telles mesures évoquent le souvenir « des lois utilisées pour museler les médias sous Saddam Hussein ». Maliki n’est sans doute pas aussi impitoyable et autoritaire que Saddam Hussein, mais la tendance n’est pas encourageante. Au minimum, l’Irak semble prendre la voie vers ce que Fareed Zakaria appelle à juste titre une « démocratie illibérale ». Ce résultat n’est certainement pas ce que les dirigeants américains avaient en tête lorsqu’ils présentaient la mission en Irak comme un succès.
Il serait plus qu’ironique que les Etats-Unis aient chassé un autocrate irakien pour qu’il soit remplacé par un autre. Saddam Hussein était au moins tout à fait laïc et très hostile aux forces islamistes. Maliki est les diverses factions sur lesquelles il assied son pouvoir sont nettement moins laïques.
Par ailleurs Saddam Hussein était un adversaire du régime révolutionnaire en Iran. Maliki est par contre très à l’aise avec le régime de Téhéran. L’accueil chaleureux avec tapis rouge qu’il avait donné au président Mahmoud Ahmadinejad lors de la visite de ce dernier à Bagdad en Mars 2008 est un signe parmi d’autres du partenariat discret mais bien réel entre le régime chiite de Téhéran et le gouvernement à dominance chiite de Maliki.
D’un point de vue américain, les derniers développements en Irak suggèrent que les Etats-Unis pourraient bien avoir payé un prix considérable, en vies humaines et en deniers publics, pour finir avec un Irak autoritaire plutôt que démocratique. Pire : cela pourrait même devenir un Irak autoritaire sous influence iranienne. Les américains qui se targuent de la réussite du renforcement et que « nous » avons gagné en Irak devrait réfléchir sérieusement à la qualité du trophée de la victoire.
Ted Carpenter est analyste au Cato institute à Washington DC.