Après Dominique Strauss-Kahn, après François Hollande, voici que Martine Aubry montre également son appétit présidentiel. Analyse des chances élyséennes de la numéro un du Parti socialiste.
Le 17 janvier 2010 dans l’émission "Grand Jury" de RTL-LCI, la première secrétaire du Parti socialiste Martine Aubry a fait deux déclarations assez déterminantes dans le paysage politique actuel.
Un début d’année 2010 en fanfare
La première est encore en cours d’effet à propos de la réforme des retraites. Pour la première fois depuis trente ans, la responsable du premier parti de l’opposition parlementaire est prête à participer à l’élaboration d’une réforme des retraites qui devraient être approuvée par l’ensemble des partis politiques, comme cela s’est passé en Allemagne par exemple.
Si cette annonce ne manque pas de courage ni de panache (le Premier Ministre François Fillon a rapidement pris note et approuvé ces bonnes dispositions), elle ne doit pas cacher la seconde information, qui est l’éventualité de sa possible candidature à l’élection présidentielle (elle aura 61 ans et demi en 2012) : « Je pense que j’en ai les capacités comme d’autres. J’ai été numéro deux du gouvernement de Lionel Jospin, j’ai rempli des fonctions importantes, j’ai travaillé dans une entreprise, je dirige une ville. » a juste constaté Martine Aubry qui semble avoir adopté la même posture que Ségolène Royal qui avait rappelé ses états de service lors de la campagne présidentielle le 19 février 2007 sur TF1.
Climat favorable
Et elle n’a pas fait ce genre de déclarations par hasard. D’une part, elle a intégré la logique des institutions de la Ve République qui ne donnent de l’importance médiatique qu’aux leaders politiques alimentant des ambitions présidentielles ; d’autre part, elle le fait quelques jours après la déclaration de candidature de François Hollande, son prédécesseur.
De plus, elle jouit d’un climat politique (sans doute précaire) qui lui est plutôt favorable. En effet, depuis quelques semaines, les sondages la placent à la tête du leadership de l’opposition, ce qui n’est en fait pas très étonnant pour une chef de parti de l’opposition. Le sondage d’OpinionWay du 14 janvier 2010 (téléchargeable ici) est à cet égard intéressant : elle supplante François Bayrou, Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal et Olivier Besancenot dans la capacité à s’opposer au Président Nicolas Sarkozy (je rappelle que les sondages ne sont intéressants que dans les tendances qu’ils apportent, leur évolution par rapport au temps, pas dans l’absolu).
Parmi les autres raisons de son embellie dans les sondages, sa combativité prête à rassembler ses ouailles. Sa sortie, lors de ses vœux, sur le droit de vote aux étrangers dans les élections locales se voulait un pavé dans la mare de l’UMP. Une mesure qui rassemble à gauche et qui laisse dans l’expectative la majorité présidentielle.
La ficelle est certes un peu grosse, déjà utilisée mille et une fois (dont une fois par François Mitterrand en début avril 1988 pour grossir le vote en faveur de Jean-Marie Le Pen), mais ça montre une Martine Aubry dynamique, politique, et surtout (notion que le PS avait oubliée depuis 1997), opposante pressée d’en découdre avec ses adversaires et capable de mobiliser son camp.
Martine Aubry présidentiable ?
Ce serait étonnant et pourtant, Martine Aubry devient même le principal atout des socialistes dans ce jeu des ego si importants.
Car Martine Aubry revient de loin.
Après avoir été la "Dame des 35 heures", haïe par le chroniqueur politique Philippe Alexandre, Martine Aubry a fait une petite traversée du désert (échec en juin 2002 aux législatives) et s’est consacrée à Lille où elle est devenue (en mars 2001) l’héritière de l’ancien Premier Ministre Pierre Mauroy (assez mal élue). En juin 2007, elle a été finalement brillamment élue députée et en mars 2008 brillamment élue maire de Lille en incluant dans sa majorité des membres du MoDem (Jacques Richir entre autres).
Quelques mois après, il y avait le fameux congrès de Reims. Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius (soutenus par Lionel Jospin, Pierre Mauroy et d’autres diplodocus du Parti socialiste) ont trouvé intelligent de pousser la candidature de Martine Aubry pour écarter à la fois Ségolène Royal (très motivée pour reprendre le PS) et Bertrand Delanoë (à l’époque en haut des sondages). Le deal étant que Martine Aubry à la tête du PS leur permettrait d’attendre pour la candidature à l’élection présidentielle.
Bien qu’arrivée en troisième position dans le vote des militants en novembre 2008 et malgré un score très serré (sérieusement contesté), Martine Aubry l’emporta sur Ségolène Royal au second tour.
Maintenant à la tête du PS, première femme à diriger le Parti socialiste (pas première femme chef d’un grand parti de gouvernement, puisque Michèle Alliot-Marie avait déjà été élue à la présidence du RPR en 1999 à la succession de Philippe Séguin), Martine Aubry a passé une bonne année pour imposer son autorité au sein du Parti socialiste, notamment par une consultation interne.
Primaire pour l’élection présidentielle de 2012
Parmi les dossiers internes importants, il y avait le principe d’une primaire pour choisir le candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012. Martine Aubry n’y était pas vraiment favorable tandis que c’était le sésame de Ségolène Royal. Finalement, Martine Aubry s’est ralliée à l’idée et a confirmé que la primaire aurait lieu au second semestre de l’année 2011.
Comme je l’avais précédemment dit, la date de cette primaire est d’une importance politique capitale : François Hollande est partisan (comme Ségolène Royal) de la faire le plus tôt possible afin de permettre au candidat choisi de faire campagne suffisamment tôt devant les Français (et se faire connaître auprès d’eux) alors que Dominique Strauss-Kahn bloqué par son mandat de directeur général du FMI (jusqu’en novembre 2012, de toute façon bien après l’élection présidentielle) a intérêt à retarder le plus tard possible afin de rester dans ses fonctions le plus longtemps possible.
En choisissant le plus tard possible (contre l’avis d’Arnaud Montebourg, l’un de ses grands soutiens actuellement), Martine Aubry souhaite favoriser avant tout Dominique Strauss-Kahn qui est, selon elle, « lui aussi quelqu’un qui peut tout à fait diriger notre pays ».
Jeu collectif et ambitions plurielles
Rappelons que Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn sont les deux héritiers politiques de Lionel Jospin, tandis que François Hollande s’est toujours revendiqué hors des courants du PS (proche de Jacques Delors, le père de Martine Aubry). Quant à Ségolène Royal, elle se sent l’héritière (sans doute lointaine) de François Mitterrand.
Consciente qu’il n’est pas forcément intelligent de mettre ses ambitions personnelles trop en avant, Martine Aubry a souligné que son CV, « tout ça à soi seul ne suffit pas, il faut qu’à un moment donné, on soit l’homme ou la femme de la situation qui permettra de mobiliser un maximum de Français : d’abord, on joue collectif, après, on choisit le capitaine, mais on n’en est pas là. »
Après tout, quoi de plus normal que d’imaginer le chef d’un parti candidat à l’élection présidentielle ? Les trois derniers Présidents de la République, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont été les chefs de leur parti juste avant leur (première) élection, et parmi les candidats à la stature incontestable, François Bayrou (entre autres) est lui aussi chef de son parti. A contrario, la candidature de Ségolène Royal en 2007 a été considérablement gênée par l’absence de cohésion du PS à son égard.
Forces et faiblesses
Énumérons les forces et faiblesses d’une éventuelle candidature de Martine Aubry pour évaluer ses chances à l’élection présidentielle.
Les faiblesses :
1. Martine Aubry n’a pas beaucoup de charisme. Son look (qui, je le rappelle, est un élément déterminant dans l’attractivité des électeurs) mériterait d’être amélioré. Elle présente un aspect austère qui rassure par son sérieux mais empêche aussi le rêve.
2. Sa capacité à rassembler au-delà du Parti socialiste pour gagner un second tour est très contestable. Refusant des alliances nationales avec le MoDem ou Europe Écologie (l’un des thèmes de campagne interne de Martine Aubry en 2008 portait sur l’alliance avec le MoDem), elle reste assez incohérente entre ses imprécations et les faits (alliance locale à Lille par exemple).
3. Les 35 heures (qui sont aussi pour elle un atout) peuvent être un handicap pour se faire prévaloir des milieux économiques : sa réforme a plombé l’embellie économique des premières années du gouvernement Jospin et a rendu moins souple la notion de temps de travail (pauses décomptées etc.) tout en renforçant sa flexibilité (temps décompté annuellement).
4. Elle a provoqué de nombreuses réactions hostiles en autorisant en 2000 (comme première adjointe puis comme maire) des horaires d’ouverture exclusivement réservés aux femmes dans la piscine municipale à Lille-Sud (politique qu’elle a renoncé à poursuivre en juin 2008).
5. Ses deux grands soutiens, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, risquent de lui faire défaut si d’aventure eux-mêmes décidaient de se présenter à la primaire. Son camp serait donc susceptible de se disloquer.
Les forces :
1. Martine Aubry a une bonne notoriété et une solide réputation de travailleuse. Elle n’a pas un ego trop développé, ce qui lui permet d’être crédible lorsqu’elle dit : « d’abord, on joue collectif »
2. Au-delà du côté collectif, elle est une femme d’appareil et une militante de longue date du PS. Elle est sans doute plus apte à rassembler les socialistes qu’aucun autre candidat. Ce qui en ferait une bonne candidate de premier tour, mais pas forcément de second tour.
3. Parmi le respect que les militants de gauche peuvent accorder à Martine Aubry, il y a "son" œuvre politique, les 35 heures qui est pour elle son précieux certificat de gauche. Reste à savoir si c’est suffisant pour attirer des voix issues du Parti communiste ou de l’extrême gauche de type NPA.
4. Bien que ne disposition pas d’un réseau personnel au sein du PS comme Ségolène Royal ou Bertrand Delanoë, Martine Aubry a maintenant mis en en place une équipe de travail qui lui est inféodée avec des personnalités comme Arnaud Montebourg, Harlem Désir et même Benoît Hamon (jeune homme irrésistible selon elle) à la direction du PS.
5. Si elle réussit à négocier avec le gouvernement un accord sur la réforme des retraites, elle aura un acquis politique très fort à faire prévaloir.
« J’y pense tous les matins en mettant mes boucles d’oreille »
L’ambition à court terme de Martine Aubry, c’est de gagner les élections régionales de mars 2010. Gagner même les deux régions qui ne sont pas, parmi les Conseils régionaux sortants, à majorité socialiste. C’est sans doute un seuil très élevé et un pari un peu casse-cou.
Toute la dextérité politique de Martine Aubry consistera ensuite à réussir son pari de la primaire socialiste : ne faire apparaître qu’une seule candidature de la gauche gouvernementale, en impliquant non seulement les adhérents du Parti socialiste mais également ceux du Parti radical de gauche et pourquoi pas ? de Europe Écologie et du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon (ce qui est loin d’être acquis). Cela signifiera aussi que tous les candidats battus à cette primaire acceptent, comme en novembre 2006, de soutenir pleinement la candidature de la personnalité qui aura été choisie.
Une condition nécessaire (mais pas suffisante) pour ne pas laisser François Bayrou seul face à Nicolas Sarkozy. Un Nicolas Sarkozy qui serait très heureux d’affronter une nouvelle fois une femme au second tour.
Après être devenue la "dame de fer française" (notion très thatchérienne), Martine Aubry va-t-elle devenir la future "Angela Merkel française" ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 janvier 2010)
Pour aller plus loin :
Martine Aubry prête à transiger sur les retraites.
DSK pense à 2012.
François Hollande pense à 2012.
Martine Aubry y pense aussi, à 2012.
Lionel Jospin n’y pense plus.
La primaire selon Arnaud Montebourg.
Sondages au beau fixe.
Comment elle a conquis le PS.
Zoom sur le PS.