Pieter de HOOCH
(Rotterdam, 1629-Amsterdam, 1684 ou après ?),
Intérieur avec une mère épouillant son enfant, c.1658-60.
Huile sur toile, Amsterdam, Rijksmuseum.
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Ceux d’entre vous qui suivent l’actualité des expositions présentées cet automne à Paris n’auront pas manqué de noter que la Pinacothèque propose de découvrir, jusqu’au 7 février 2010, une sélection de tableaux appartenant au prestigieux Rijksmuseum d’Amsterdam, sous le titre L’âge d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer (cliquez ici). Pour le spectateur d’aujourd’hui, dont les connaissances ont été savamment modelées par une Histoire de l’Art largement dominée par la précellence accordée à l’Italie, il est sans doute difficile de mesurer précisément l’impact, au-delà de ses limites géographiques et temporelles, de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Pourtant, sans elle, comment expliquer Chardin en France, Friedrich en Allemagne ou Constable en Angleterre, pour ne citer que trois noms célèbres, qui tous s’imprégnèrent de son vocabulaire avant de le traduire, chacun avec sa sensibilité propre, dans le langage de leur époque ?
Pieter de Hooch est originaire de Rotterdam, où il a été baptisé le 20 décembre 1629. Son père était maçon, sa mère sage-femme (est-ce une des raisons qui expliquent la régularité avec laquelle il représenta de jeunes enfants dans ses tableaux ?). On ne possède aucune certitude quant à son apprentissage, que d’aucuns disent avoir été effectué à Haarlem auprès du paysagiste Nicolaes Berchem (c.1621-1683), d’autres auprès de Ludolf de Jongh (1616-1679), lui aussi peintre de paysages, mais également de scènes de genre, actif à Rotterdam à partir de 1643. C’est en tout cas à Delft, la ville de Vermeer (1632-1675, tableau ci-dessus), que de Hooch, qui s’y marie en 1654, va tout d’abord exercer son activité de peintre jusqu’à son déménagement pour Amsterdam vers 1660, cité où il semble avoir fini ses jours à une date inconnue, qui doit être fixée au plus tôt en 1684, le dernier tableau daté de Pieter de Hooch étant de cette année-ci, et l’homonyme mort à l’asile de fous d’Amsterdam étant peut-être son fils. Tout au long de sa vie, la situation du peintre, qui, semble-t-il, ne manqua pas de clients, ne se dégagea jamais d’une certaine précarité ; il ne posséda jamais de maison et la faiblesse de ses revenus lui valurent d’être exempté d’impôts.
Le tableau que j’ai choisi de vous présenter est typique de la manière du de Hooch des dernières années de Delft, à partir de 1658 environ. C’est, en effet, vers cette date qu’il peint principalement, en usant d’une palette aux teintes chaudes, des tableaux intimistes mettant en scène des femmes et des enfants. Sa technique picturale révèle une grande virtuosité dans l’utilisation de la perspective, sa maîtrise étant soulignée ici, comme dans nombre de ses œuvres contemporaines, par la précision avec laquelle il représente le carrelage. La même éblouissante maestria se retrouve également dans le traitement de la lumière. Emanant de deux sources distinctes, elle conduit le regard du spectateur au travers des pièces en conférant à une scène qui, sans son secours, serait extrêmement statique, une animation qui, si elle tient sans doute plus du frisson que de l’affairement, n’en demeure pas moins tangible.
Les scènes de toilette ne sont pas rares dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle. La minutie que les artistes de cette époque ont déployée pour représenter qui des scènes de genre, qui des paysages, qui des objets, a d’ailleurs valu à cette peinture d’être qualifiée de « réaliste », ce qui, en matière de représentation avant l’apparition de la photographie, ne veut pas dire grand chose. Bien souvent, en effet, derrière une image idéalisée, comme ici, d’un intérieur et d’une activité domestique, se cachent d’autres significations. Au premier coup d’œil, ce qui frappe dans cette toile c’est la sensation d’harmonie et de propreté qui se dégage de la chambre qui nous est montrée. Pas la moindre tache ne souille le sol immaculé, aucun objet n’y traîne, le lit est impeccablement fait, tout le contraire, en somme, d’un « ménage à la Jan Steen », ce peintre tellement expert ès-description des désordres domestiques que ses œuvres en sont, aujourd’hui encore, proverbiales. C’est également dans le même ordre de préoccupations, qu’on dirait de nos jours hygiénistes, qu’il faut lire la scène d’épouillage qui nous est montrée ; au chez soi vierge de toute souillure doit correspondre un corps débarrassé de tout parasite. Mais, avant même que je vous le dise, vous aviez deviné qu’au-delà d’un éloge de la salubrité matérielle, une dimension morale vient se greffer à cette représentation : « Peigne, peigne, encore et encore, et pas seulement la chevelure, mais aussi tout ce qui à l’intérieur se cache, jusqu’à l’os le plus intime », comme le dit un texte de Jacob Cats (1577-1660), célèbre poète, moraliste et homme politique du temps, dont les œuvres étaient alors largement diffusées. Le peigne était d’ailleurs un instrument paré de toutes les vertus, car, ainsi que l’écrit Roemer Visscher (1547-1620) dans son célèbre recueil d’emblèmes Sinnepoppen (Amsterdam, 1614), « il nettoie et il décore », l’auteur allant même jusqu’à faire de cet objet apparemment anodin un symbole de la purification de la République. Sans atteindre de telles considérations politiques, il semble assez évident que le tableau de Pieter de Hooch nous parle très nettement, lui aussi, de ce lien entre propreté matérielle et morale, dont il fait un devoir d’assistance spirituelle entre parents et enfants en le matérialisant par le contact très étroit entre la mère et son enfant, dont le bas du vêtement semble presque confondu.
Et le petit chien que son isolement dans le tableau met en valeur, que nous dit-il ? Symbole de fidélité, notamment conjugale, il est sagement assis, en gardien vigilant du foyer, tourné vers le dehors où l’on aperçoit, au-delà des portes qui délimitent ce lieu d’intimité qu’est la maison, un jardin où le petit animal rêve peut-être de s’ébattre, puisque la journée est, par chance, ensoleillée. Mais le monde extérieur, si irrésistiblement attirant, est plein de dangers, comme semble l’indiquer le tableau, hélas peu lisible ici, accroché au-dessus de la porte de la chambre, dont de Hooch s’est également servi dans une autre toile de la même époque conservée à Karlsruhe (La chambre à coucher, c.1658-60, cliquez ici) et qui pourrait bien représenter des voyageurs traversant un paysage boisé, où toutes les mauvaises rencontres sont donc possibles. Il est donc probable que le chien ait été choisi par le peintre pour symboliser, sur le même mode moral fortement teinté de religiosité que l’épouillage, la résistance aux tentations et aux plaisirs qui peuvent détourner l’esprit de préoccupations plus importantes.
Que ferait néanmoins un si petit chien face à une menace réelle, quelle serait sa réaction si la porte venait à s’ouvrir en lui offrant subitement la liberté de choisir ? Le tableau ne le dit pas ce qui est une élégante façon de laisser à chacun le soin de décider selon son cœur, donc de parachever pour soi-même le petit exercice spirituel proposé par le peintre.
Nicolas VALLET (c.1583-après 1642), Onser Vader in Hemelryck (1616), extrait du recueil Le Secret des Muses (Amsterdam, deux livres publiés respectivement en 1615 et 1616).
Paul O’Dette, luth à dix chœurs
Le Secret des Muses (anthologie). 1 CD Harmonia Mundi HMU 907300. Ce disque peut être acheté en cliquant ici.