Charles CUISIN (Paris, 1815-Troyes, 1859),
Effet de crépuscule, environs de Troyes, la chaussée du Vouldy, sd.
Huile sur toile, Paris, Musée du Louvre.
Une année qui s’achève apporte nécessairement son lot de bilans et d’espoirs. Le recul sur 2009 n’est sans doute pas encore assez important pour permettre d’en dégager toutes les lignes de force, mais ce que j’en retiens, au moment où j’écris ces mots, est un fort sentiment de précarité. Une crise économique dont on essaie de nous faire croire que le plus dur est passé, de sombres manigances qui, d’une main, tentent de délivrer des brevets d’orthodoxie française tandis que l’autre s’emploie à organiser une vaste braderie de pans entiers de notre patrimoine, les résultats préoccupants d’une vaste enquête, publiée cet automne, sur les pratiques culturelles des Français, qui montrent, sans pièce à y mettre, que le public qui écoute de la musique « classique » vieillit et s’étiole – victime, à mon sens, en large partie de sa stupide morgue élitiste – tandis que la fréquentation des musées, hors grandes expositions parisiennes, s’enlise et que la lecture décline inéluctablement, les chevaux de Troie que sont le cinéma, la télévision et les jeux vidéo raflant la mise, sont autant d’éléments objectifs qui appellent, plus que jamais, à demeurer vigilant.
Même si vous ne suivez pas spécifiquement l’actualité musicale, vous échapperez difficilement à celui qui sera, en France, le héros de l’année 2010, Fryderyk Franciszek Chopin, auquel sera consacrée, du 27 au 31 janvier prochains, la très médiatique Folle journée de Nantes. Alors que des raisons bassement électoralistes font agiter, depuis quelques mois, le chiffon rouge et souvent nauséabond de l’identité nationale, voir ainsi célébrer un Polonais, certes d’ascendance française par sa branche paternelle, immigré en France en 1830 a quelque chose d’infiniment réjouissant. Sur la Folle journée elle-même, j’avoue néanmoins ma perplexité, non sur une manifestation que je ne me suis d’ailleurs jamais privé de saluer, mais sur le caractère assez convenu de la programmation de cette nouvelle édition. Il est, à mes yeux, plutôt singulier qu’en dehors de Maude Gratton, qui s’est signalée cette année par un remarquable disque dédié à Wilhelm Friedemann Bach (compositeur en lice pour faire partie des oubliés de 2010), aucun interprète jouant sur instruments anciens n’ait été convié pour faire entendre la musique de Chopin de manière différente, alors même que l’Institut Chopin de Varsovie est en train d’enregistrer l’intégrale de son œuvre sur deux pianos du XIXe siècle. Globalement, cette frilosité me semble corroborer un mouvement de fond, largement encouragé par les milieux autorisés, en particulier ceux de la critique musicale, qui, sous couvert du concept fumeux d’universalité de la musique, tend à essayer de jeter le discrédit sur l’approche « historiquement informée » d’un certain nombre de répertoires, celui du XIXe, mais aussi celui du XVIIIe siècle. Avez-vous noté l’augmentation constante du nombre de parutions discographiques qui proposent Bach ou Haendel sur piano moderne, tandis qu’en catimini des phalanges traditionnelles s’emparent des mêmes compositeurs, mais aussi, entre autres, de Pergolèse ou de Vivaldi, en se contentant d’emprunter, pour alléger leur pâte sonore, quelques techniques redécouvertes par ceux qu’il est convenu de dénommer « baroqueux » ? La musique appartient à tout le monde, me rétorquerez-vous, et vous aurez raison. Il n’empêche que si on la considère comme autre chose qu’un objet d’agrément, le travail de réflexion que l’on se doit de mener sur elle amène nécessairement à la replacer dans un contexte historique global, démarche qui ne saurait s’affranchir d’un effort de reconstitution de l’univers sonore qu’ont pu connaître le compositeur et son temps. Illusion archéologique ? Purisme excessif ? Peut-être. J’ai néanmoins, pour m’être moi-même attelé à semblable tâche, assez conscience du caractère fragile, voire chimérique, des machines à remonter le temps pour éviter d'en être totalement dupe, mais j’ai également pu suffisamment mesurer les perspectives passionnantes qu’elles pouvaient laisser entrevoir pour négliger l’aide qu’elles apportent quant au questionnement des expressions artistiques comme émanation d’une époque donnée.
C’est dans cette optique de remise en perspective que continueront à être pensés les billets qui paraîtront ici, quand bien même on continuerait à me reprocher ponctuellement de la laisser primer mon appréciation personnelle sur les œuvres que je présente. Je persiste à estimer que ce sont ces dernières qui importent et non l’appropriation souvent fautive que nous opérons à leur endroit ; le but avoué de ce site est de fournir, sans chercher à embrigader, autant matière à penser qu’à s’émouvoir, ouvrir des pistes, à l’écart, si possible, des plus courues, qu’il appartient ensuite à chacun, selon son envie, d’emprunter ou non.
Je remercie celles et ceux, fidèles ou dilettantes, qui, par leurs commentaires, font vivre Passée des arts et je vous souhaite à tous, mes lectrices et lecteurs, comme à ceux qui vous sont chers, une année 2010 riche d’émotions comme de réussites.
Frédéric CHOPIN (1810-1849), Prélude opus 45, en ut dièse mineur (1841) : Sostenuto
Alain Planès, piano Pleyel 1836.
Chopin chez Pleyel. 1 CD Harmonia Mundi HMC 902052. Ce disque, sans doute l’anthologie la plus réussie consacrée au compositeur parue depuis bien longtemps et que je vous conseille chaleureusement, peut être acheté en cliquant ici.