La situation des droits humains s’est globalement détériorée en 2009 au Maroc, bien que le pays ait conservé une société civile dynamique et une presse indépendante. Le gouvernement, aidé par des tribunaux complaisants, a utilisé une législation répressive pour punir et emprisonner des opposants non violents, en particulier ceux qui violent les tabous en critiquant le roi ou la monarchie, en contestant la « marocanité » du Sahara occidental, ou en « dénigrant » l’Islam.
Les restrictions des droits sont particulièrement strictes dans la région contestée du Sahara occidental, sur laquelle le Maroc revendique la souveraineté et qu’il administre comme si elle faisait partie de son territoire national. Un mouvement pro-indépendantiste connu sous le nom de Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguía el Hamra et du Río de Oro) demande un référendum sur l’autodétermination pour le peuple sahraoui. Le Polisario a rejeté une proposition marocaine, présentée en avril 2007, d’autonomie pour la région, surtout parce que cette proposition ne mentionne nulle part un référendum dans lequel l’indépendance serait une option. De nombreux Sahraouis ont été inculpés ou emprisonnés à cause de leurs revendications pacifiques en faveur de l’autodétermination pour le Sahara occidental. Les restrictions pour raisons politiques du droit de voyager se sont multipliées.
Terrorisme et contreterrorisme
Des centaines de personnes soupçonnées d’être des extrémistes islamistes et arrêtées à la suite des attentats de Casablanca de mai 2003 continuent de purger des peines de prison. Beaucoup des personnes arrêtées en 2003 ont été condamnées lors de procès inéquitables après avoir été maintenues cette année-là en détention secrète pendant des jours ou des semaines et soumises à de mauvais traitements et parfois à la torture pendant les interrogatoires. Certains des inculpés ont été condamnés à mort, peine que le Maroc n’a pas abolie même s’il ne l’a pas appliquée depuis 1993. Depuis août 2006, la police a arrêté des centaines d’autres militants islamistes présumés, dont beaucoup ont été condamnés et emprisonnés pour appartenance à « un gang criminel » ou pour se préparer à rejoindre « le djihad » en Irak.
Les agences de renseignement ont continué à interroger les personnes soupçonnées de terrorisme dans un centre de détention non reconnu à Temara, près de Rabat, selon de nombreux récits de détenus. De nombreux suspects ont affirmé que la police les a torturés pendant les interrogatoires, tout en les maintenant en garde à vue au delà des douze jours maximum prévus par la loi dans les cas de terrorisme. Par exemple, plusieurs des accusés dans le procès collectif dit de Belliraj (voir ci-après) ont soutenu que la police les avait enlevés et maintenu en détention à l’isolement cellulaire pendant une durée de deux à quatre semaines avant de les présenter devant un juge. Certains d’entre eux ont affirmé durant le procès que la police à Temara les avait torturés afin de leur extorquer de faux aveux.
Actions relatives aux exactions du passé
A la suite des travaux préparatoires achevés en 2005 par l’organisme marocain Instance équité et réconciliation (IER), l’Etat a reconnu ses responsabilités dans les « disparitions » et autres graves exactions commises par le passé, et il a indemnisé environ16 000 victimes ou leurs ayants droit. Cependant, aucun fonctionnaire marocain ni aucun membre des forces de sécurité du Maroc ne semble avoir fait l’objet de poursuites pour les violations commises durant la période allant de 1956 à 1999 sur laquelle l’IER a enquêté, et le gouvernement n’a toujours pas mis en œuvre la plupart des réformes institutionnelles recommandées par l’IER pour prévenir de futures exactions. En outre, jusqu’au mois d’octobre, les familles des personnes « disparues » dont les cas étaient traités par l’IER et ensuite par le Conseil consultatif des droits de l’homme, n’avaient pas reçu de compte-rendu complet des conclusions de l’IER concernant la « disparition » de leurs proches.
Conduite de la police et système judiciaire pénal
Les policiers sont rarement tenus de rendre des comptes pour des violations des droits humains. Dans les dossiers ayant des implications politiques, les tribunaux tiennent rarement des procès équitables ; les juges ignorent régulièrement les demandes d’examens médicaux déposées par des accusés qui affirment avoir été torturés, refusent de citer à comparaître des témoins à décharge, et condamnent les accusés sur la base d’aveux apparemment extorqués. Le 28 juillet, la Cour d’appel de Rabat a déclaré les 35 accusés dans l’affaire « Belliraj » coupables de constitution d’un réseau terroriste, les condamnant à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à la perpétuité. Les chefs de deux partis et quatre autres personnalités politiques bien connues figuraient parmi les accusés. La Cour a basé les verdicts de culpabilité presqu’entièrement sur les déclarations attribuées aux accusés par la police, même si la plupart des accusés avaient désavoué ces déclarations devant le juge d’instruction et que tous les avaient désavouées lors du procès. Le tribunal a refusé d’enquêter sur les allégations de torture, les déclarations falsifiées et les déclarations écrites en arabe pour les accusés incapables de lire cette langue. Le procès en appel devait commencer en décembre 2009. La police a arrêté sept militants sahraouis non violents le 8 octobre à leur retour d’une visite non dissimulée des camps de réfugiés gérés par le Polisario près de Tindouf, en Algérie. Un juge de Casablanca a renvoyé leur affaire devant un tribunal militaire au motif que les infractions présumées comportaient une atteinte à « la sécurité extérieure de l’Etat », en « portant atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc ». Le renvoi de civils devant un tribunal militaire, où les droits de procédure des accusés sont amoindris, a constitué une évolution rare et de mauvais augure.
Liberté d’association, d’assemblée et de mouvement Le Maroc abrite des milliers d’associations indépendantes. Toutefois, les autorités empêchent arbitrairement la légalisation de certaines organisations, nuisant à leur liberté d’action. Parmi les groupes concernés, figurent certaines qui défendent les droits des Sahraouis, des Amazighs (Berbères), des immigrants sub-sahariens et des diplômés chômeurs, ainsi que des associations de bienfaisance, culturelles et d’éducation, dont la direction comprend des membres de Justice et bienfaisance, l’un des mouvements islamistes les plus importants du pays.
Le gouvernement tolère en général le travail des nombreuses organisations de défense des droits humains actives à Rabat et à Casablanca. Dans le nord du Maroc, les autorités ont arrêté le 17 février 2009 Chekib el-Khayari, président de l’Association du Rif des droits de l’homme, après qu’il eut accusé certains fonctionnaires marocains de complicité dans le trafic de stupéfiants. Le 24 juin, un tribunal de Casablanca a condamné el-Khayari pour « outrage aux institutions de l’Etat » et violations mineures de la réglementation des devises, et lui a infligé une peine de trois ans de prison et une lourde amende. En novembre, il se trouvait toujours en prison, dans l’attente de son procès en appel.
Les autorités ne font en général pas obstacle aux organisations étrangères de défense des droits humains qui se rendent au Maroc, bien que les forces de sécurité interrogent parfois les Marocains qui ont eu des contacts avec elles. A partir du mois d’octobre, la police a mis en application de nouvelles restrictions pour les groupes qui se rendent chez des militants sahraouis, interrompant au moins sept de ces rencontres au motif que les visiteurs devaient dorénavant obtenir une autorisation préalable pour ce type de rencontres.
La plupart des réunions publiques nécessitent l’autorisation du ministère de l’Intérieur, qui peut refuser sa permission s’il les juge susceptibles de « troubler l’ordre public ». Bien qu’un grand nombre des manifestations qui se déroulent fréquemment se passent sans heurts, des policiers en ont brutalement dispersé d’autres à coups de matraque.
Le gouvernement a empêché des militants sahraouis de se rendre à l’étranger plus fréquemment que les années précédentes. Le 5 août, les autorités ont empêché six étudiants sahraouis de décoller de l’aéroport d’Agadir pour se rendre au Royaume-Uni afin de participer à un programme de dialogue interculturel. Le 6 octobre, les autorités marocaines ont arrêté et fait faire demi tour à cinq militants sahraouis bien connus qui se rendaient en Mauritanie via le passage frontalier terrestre. Elles ont confisqué leurs passeports et ne les leur avaient pas encore rendus début novembre. Les autorités ont refusé de délivrer un passeport à Brahim Sabbar, secrétaire général d’une organisation sahraouie de défense des droits humains.
Liberté des médias
La liberté de la presse a décliné en 2009. La loi sur la presse prévoit des peines de prison pour diffusion « de mauvaise foi » de « fausses informations » susceptibles de troubler l’ordre public ou pour des propos diffamatoires, mettant en cause des membres de la famille royale, ou qui portent atteinte à « l’Islam, l’institution de la monarchie, ou l’intégrité territoriale [du Maroc]. » Après que le quotidien en langue arabe Akhbar al-Youm a publié le 26 septembre une caricature d’un cousin du roi Mohammed VI, les autorités ont gelé son compte bancaire et envoyé la police fermer les locaux du journal - actions qui n’ont aucun fondement dans le droit marocain. Un tribunal a ordonné le 30 octobre la fermeture des locaux d’Akhbar al-Youm et a condamné le caricaturiste et le directeur de la publication à des amendes et à des peines de prison avec sursis. Driss Chahtane, éditeur de l’hebdomadaire al-Mish’al, est allé en prison le 15 octobre, jour où un tribunal de première instance l’a condamné à une peine d’un an de prison pour avoir publié « de mauvaise foi » de « fausses informations » sur la santé du roi. Le 1er août, le ministre de l’Intérieur a ordonné la saisie des nouveaux numéros de Tel Quel et Nichan parce que ces deux hebdomadaires avaient publié les résultats d’un sondage d’opinion sur le roi Mohammed VI, alors même que les résultats étaient favorables. Au mépris des lois applicables, les autorités ont ensuite détruit les copies des numéros avant que l’éditeur n’ait pu faire appel de la saisie devant un tribunal. Acteurs internationaux clés Le Maroc est le plus important bénéficiaire de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat, avec 654 millions d’euros d’aide alloués pour 2007-2010, y compris des subventions à de nombreuses organisations marocaines indépendantes de défense des droits humains. En 2008, l’Union européenne a voté pour donner au royaume un « statut avancé », le plaçant un degré au-dessus des autres membres de la « politique de voisinage » européenne.
Une délégation parlementaire européenne a mené en janvier 2009 une mission d’enquête au Maroc et au Sahara occidental à laquelle le Maroc s’était opposée depuis trois ans. La délégation a indiqué avoir pu réaliser sa visite sans obstacles. Parmi ses recommandations figurait une invitation aux autorités marocaines à « amender les clauses relatives à l’intégrité territoriale et à assurer que leur application permette l’expression de toute opinion, fût-elle indépendantiste, dans le respect de la non-violence ».
Tout en soutenant l’autonomie pour le Sahara occidental sous la souveraineté marocaine, les diplomates américains se sont rendus au Sahara occidental, où ils ont rencontré des militants sahraouis des droits humains. La Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a été le premier membre de l’administration Obama à se rendre au Maroc, où elle a rencontré le roi Mohammed VI le 2 novembre. Dans ses commentaires publics le lendemain, Madame Clinton a salué les réformes qui ont permis aux femmes marocaines d’ « apporter leurs talents considérables au renforcement des institutions démocratiques, à l’accélération de la croissance économique et à l’élargissement du travail de la société civile ».
La France est le principal partenaire commercial du Maroc et la principale source d’aide publique au développement et d’investissement privé. La France a donné au Maroc 460 millions d’euros d’Aide au développement pour les pays d’outre mer en 2007-2009, ce qui fait du Maroc le principal bénéficiaire de cette assistance. La France a rarement critiqué publiquement les pratiques du Maroc en matière de droits humains. En avril 2009, le Conseil de Sécurité de l’ONU a renouvelé pour un an la force de maintien de la paix de la MINURSO au Sahara occidental, mais a à nouveau refusé d’élargir son mandat de façon à y inclure l’observation et la protection des droits humains. Le Maroc s’oppose à ce que ce mandat soit donné à la MINURSO, alors que le Polisario déclare le soutenir.
Le Maroc a ratifié le 9 avril la Convention internationale sur la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées. Le roi Mohammed VI a annoncé le 10 décembre 2008 que le Maroc allait lever ses réserves sur la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, mais ce n’était pas encore fait en novembre 2009. Le Maroc a reçu la visite au mois de juin du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, la première effectuée par ce groupe dans un pays arabe ou africain. Le groupe a fait l’éloge de l’IER, mais a exprimé la préoccupation que son mandat, qui excluait les poursuites judiciaires des auteurs d’exactions, puisse encourager l’impunité.