C'est un géant de la bande dessinée franco-belge qui nous quitte : Jacques Martin, 88 ans, est décédé ce jeudi 21 janvier 2010 au matin. Hommage.
Jacques Martin est né le 25 septembre 1921 à Strasbourg. Très jeune, il découvre la bande bessinée via les grands albums de Buster Brown par Richard F. Outcault, publiés chez Hachette. C'est au verso de ces pages qu'il fait ses premiers dessins. La plupart représentent des avions - son père était aviateur - ou des personnages moyenâgeux. Cet engouement pour le dessin se développe en même temps qu'un goût insatiable pour l'histoire.
Son enfance se passe à cultiver ces deux jardins secrets en travaillant sans cesse à la maîtrise des techniques du dessin ainsi qu'à l'apprentissage de sa science de prédilection. Désireux d'entrer aux Beaux-arts, et cela dans l'optique de faire du dessin un métier, il ne parvient toutefois pas à concrétiser entièrement ce rêve. En effet, sa mère et ses tuteurs l'orientent vers les Arts et Métiers. Il y reçoit un enseignement purement technique. Il en reconnaîtra lui-même plus tard l'utilité, contraint qu'il fut de se rompre aux rudiments de la perspective et de la descriptive. Cette première formation n'est sûrement pas étrangère à la rigueur obstinée dont Jacques Martin a fait preuve tout au long de son œuvre et qui a probablement contribué à en faire l'un des trois principaux représentants de l'école de Bruxelles, les deux autres étant Hergé et Edgar P. Jacobs bien sûr.
La critique a légitimement rapproché le travail de ces trois auteurs qui, en plus de s'être beaucoup fréquentés et d'avoir collaboré en maintes occasions, partageaient un idéal artistique fait de réalisme, de probité et de minutie. Une demi-génération sépare Jacques Martin de ses prestigieux aînés. Il ne commence à publier qu'en 1946 dans l'hebdomadaire Bravo où il crée Monsieur Barbichou. Durant les trois années qui suivent, il accumule les collaborations avec des publications bruxelloises et wallonnes, conjuguant l'art de la bande dessinée et celui de l'illustration. Devant la difficulté de faire face à tous ses engagements, il se fait seconder, pour les décors et la mise en couleur de ses bandes dessinées par un graphiste nommé Leblicq. C'est de cette association que naît le pseudonyme de Marleb. Cette association prend fin au bout d'un an, mais Jacques Martin n'en continue pas moins à utiliser ce pseudonyme jusqu'en 1950. Jusqu'en 1948, il varie séries réalistes et séries humoristiques. Le premier récit à suivre, dessiné pour Bravo, est Lamar, l'homme invisible qui ressemble quelque peu à la série Flash Gordon dont les aventures paraissent également dans l'hebdomadaire.
En 1947, il crée Oeil de Perdrix, nouveau héros dont la première aventure, le Secret du Calumet, fut tout de suite publiée en album. Vers la même époque, il signe encore une autre série humoristique dont la première histoire s'intitule le Hibou gris et qui est pré-publiée simultanément dans deux quotidiens belges. Repris l'année suivante dans l'hebdomadaire Story, il lui donne une suite, le Sept de trèfle qui peut être considérée comme un préambule de ce que sera la Grande Menace. Toujours dans cette même période, en 1948, paraît la Cité fantastique, une récit ayant pour thème la guerre. Dès 1946, Jacques Martin crée un projet de journal pour jeunes qu'il baptise Jaky. Malheureusement, le n°1 de l'hebdomadaire Tintin est sur le point de sortir, réunissant une impressionnante brochette de grands auteurs. Jaky échoue au fond d'un tiroir...
Tout en poursuivant sa collaboration à Bravo et à Story, Jacques Martin pose sa candidature au Journal de Tintin. C'est en 1948 qu'il conçoit le personnage d'Alix, le proposant aussitôt à Raymond Leblanc, directeur du journal Tintin. Alix l'intrépide paraît en feuilleton dans « le journal des 7 à 77 ans » dès le 16 septembre 1948. Cette bande dessinée historique s'impose très vite comme l'un des chefs d'oeuvre de la bande dessinée franco-belge. En 1950, Jacques Martin engage à ses côtés un jeune assistant (lettrage et coloriage), Roger Leloup, qui deviendra lui-même plus tard un auteur de BD en créant l'héroïne Yoko Tsuno. Quelques temps plus tard, c'est au tour de Michel Demarets de venir les rejoindre. Les trois premières aventures du jeune héros romain se succèdent à un rythme effréné sans aucune interruption. Après Alix l'Intrépide, le Sphinx d'Or et l'Ile Maudite font la joie des lecteurs. Mais à l'issue du troisième titre de la série, Jacques Martin délaisse provisoirement Alix en 1952 pour s'attacher à une intrigue contemporaine mettant en scène un reporter : Lefranc. Face aux insistances de son éditeur, Jacques Martin transpose Alix et Enak dans le XXe siècle, ce qui donne le tandem Lefranc - Jeanjean.
© Manuel F. Picaud Auracan.com Au revoir Monsieur Martin
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À partir de la publication de la Grande Menace en 1953, les récits d'Alix et de Lefranc paraissent en alternance. En 1953, Hergé propose à Jacques Martin de rejoindre son équipe. Refusant d'abandonner ses deux assistants, Jacques Martin est intégré avec Leloup et Demarets dans l'équipe du père de Tintin. La participation de Jacques Martin avec Hergé dure 19 années pendant lesquelles il travaille sur plusieurs histoires de Tintin, en compagnie, entre autres, de Bob de Moor, sans pour autant abandonner Alix et Lefranc puisque ceux-ci connaissent respectivement sept et trois aventures nouvelles.
Au cours de la décennie suivante, celle qui suit la séparation avec les Studios Hergé, Jacques Martin crée à une cadence infernale, publiant neuf titres dans la série Alix, du Prince du Nil à l''Empereur de Chine et quatre dans celle de Lefranc, des Portes de l'Enfer à l'Arme Absolue. En 1970, il abandonne la réalisation graphique de Lefranc, la confiant alors à Bob de Moor puis à Gilles Chaillet. En 1978, avec Jean Pleyers, il imagine la série Xan (vite rebaptisée Jhen après deux épisodes lors du transfert de la série du Lombard à Casterman) et écrit Corentin et l'Ogre rouge pour Paul Cuvelier (ce récit mettant en scène le personnage de Corentin reste inachevé à la mort de Cuvelier et sera par la suite adapté dans les Proies du Volcan, un épisode d'Alix).
À partir de 1983, aux éditions Glénat, il crée la série Arno illustrée par André Juillard. En 1984, Jacques Martin reçoit l'insigne de Chevalier des Arts et des Lettres en ouverture d'une exposition consacrée à Alix à la chapelle de la Sorbonne. En 1990, il crée Orion, un personnage évoluant dans la Grèce Antique. Ce héros - repris par le jeune Christophe Simon - vivra trois aventures dont le sublime Lac sacré, paru en 1990, véritable apothéose de l'œuvre de Jacques Martin.
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En même temps, Jacques Martin s'entoure de nouveaux collaborateurs pour créer une série d'albums consacrée à des reconstitutions de grands sites antiques. Ainsi seront publiés aux éditions Orix, dans la collection les Voyages d'Orion : l'Égypte 1 en 1992 avec Rafael Moralès, Rome 1 en 1993 avec Gilles Chaillet, la Grèce 1, la Grèce 2 en 1994 avec Pierre de Broche, et Rome 2 en 1995. Un nouveau personnage voit aussi le jour : Keos, dessiné par Jean Pleyers dans trois albums : Osiris (éditions Bagheera en 1992), le Cobra (éditions Hélyode en 1993) et le Veau d'Or en 1999 (Casterman).
Chez Glénat, Jacques Martin a poursuivi avec le dessinateur Jacques Denoël la série Arno qu'il avait créée dans les années 1980 avec André Juillard. Aux trois premiers titres ont suivi 18 Brumaire en 1994 et l'Ogresse un an plus tard. Ayant formé autour de lui une équipe de jeunes dessinateurs, Jacques martin avait pour objectif de les faire poursuivre les séries qu'il a créées. En septembre 1996, avec Ô Alexandrie, Jacques Martin signe le 20e album d'Alix (le prédédent, le Cheval de Troie s'est vu décerner une BD d'Or au premier salon européen de la BD de Grenoble en mars 1989). En 1998, Jacques Martin change d'éditeur, et c'est Dargaud qui édite les Barbares et l'Odyssée d'Alix 2, respectivement réalisés avec Rafael Moralès et Christophe Simon. En juin 2001, retour chez Casterman où paraît la Colonne, dernier album de Lefranc avec Christophe Simon au dessin et Jacques Martin au scénario. Puis, en novembre 2001, c'est la Chute d'Icare dernier Alix dessiné par Rafael Morales et scénarisé par le maître.
À 80 ans, Jacques Martin, quasiment aveugle, continuait à dessiner, à crayonner, à écrire des scénarios, et surtout à former de jeunes talents, pour qu'ils continuent à faire vivre ses personnages, encore très longtemps... À l’âge de 82 ans, enthousiasme et inspiration intacts, Jacques Martin inaugurait la nouvelle série Loïs, mise en images par Olivier Pâques. « Sans doute aurais-je entrepris cette nouvelle aventure plus tôt, avoue Jacques Martin, mais nul n’ignore les problèmes oculaires qui ont mis un terme à mes activités de dessinateur. Il m’a donc fallu un certain temps, non seulement pour gérer cette nouvelle situation affectant mes séries existantes, mais encore pour trouver le collaborateur idéal à lancer sur une série pour laquelle il n’existait pas de références dans mon œuvre. » Ayant formé autour de lui une équipe de jeunes dessinateurs, Jacques Martin a eu pour souci de leur faire poursuivre les séries qu’il a créées. Les projets sont donc nombreux et, pour beaucoup, en voie de réalisation.
À 86 ans, Jacques Martin, encore présent pour les synopsis, a confié le scénario de ses histoires à Patrick Weber, Michel Jacquemart et Hugues Payen, les dessins d'Alix sont repris par Christophe Simon, Ferry et Marco Venanzi, ceux de Lefranc par Francis Carin, André Taymans et Régric, ceux de Jhen par Jean Pleyers et Thierry Cayman, ceux d'Orion par Marc Jailloux.
À 88 ans, le 21 janvier 2010, l’auteur s’est éteint en Suisse : Jacques Martin tire sa révérence. Qu'il soit remercié pour les milliers d'heures de belles lectures qu'il nous a offert au cours de sa prolifique et superbe carrière.
© Brieg F. Haslé & Manuel F. Picaud