Les Sept Boules De Cristal
Comme il est précisé au dos de mon exemplaire breton : "Ha setu. E brezhoneg e c'heller breman lenn troioù kaer Tintin hag e gi moutig, e brezhoneg e oar breman ar c'habiten Haddock sakreal. Anat eo ne gosha tamm ebet levrioù Tintin, hag e brezhoneg int yaouankoc'h c'hoazh. Troet eo bet al levr-man gant kalz aked hag en ur yezh eeun hag aes. Deut-mat e vo gant kement hini a zesk brezhoneg, er skol, er skol-noz pe er gêr. Deut-mat e vo ivez gant kement hini a gar un istor kontet brav, dreist-holl e brezhoneg."
Tout est dit, mais on peut tout même rajouter que Les Sept Boules de Cristal (ou Ar 7 Boullenn Strink en breton) est un volume très important dans la série. On peut même dire que s'il n'est pas le plus original, le plus psychologique, ou le plus nihiliste, c'est bien celui qui repose sur la meilleure histoire. Le suspense, lui, grâce à une narration royale, est quasi-insoutenable pendant la première partie du volume, celle qui expose une à une les attaques contre l'expédition Sanders-Hardmuth. Le génie d'Hergé, évidemment, est de faire croire que ces attentats sont le fait d'une vieille momie desséchée qui revient d'entre les morts pour anéantir ses profanateurs (on finira par apprendre, non sans surprise, que ce sont en fait des incas (?) qui sa cachent derrière tout ça.) Les scènes du taxi ou du musée provoquent un état de terreur comme un Argento de la grande époque, mais le clou c'est bien sûr cette séquence apocalyptique dans la maison du professeur Bergamotte. Inspirée par une demeure nazie, cette villa plongée dans la brume sera le théâtre d'évènements hors du commun : la boule de feu, la disparition de la momie, la prophétie inca — ou encore les rêves partagés par nos trois héros, qui d'ailleurs ne seront jamais expliqués dans l'histoire, et constituent encore à ce jour une énigme. C'est un huis clos angoissant, la menace est présente dans l'air comme de l'électricité mais n'explose pas d'un coup, tout repose sur la tension comme dans Chiens de Paille. Jusqu'à l'apothéose, avec la crise de démence du professeur qui s'agite dans son lit comme si des serpents le dévoraient de l'intérieur.
La deuxième partie de l'histoire aurait pu connaître une baisse d'intensité, mais l'auteur, malin, parvient à émouvoir : on se demande où se trouve Tournesol, et pour la première fois on a vraiment peur pour l'un des héros (c'est d'ailleurs le tour de force d'Hergé de creuser un personnage loufoque et récent pour en faire un martyr.) La description de l'enquête est très réaliste : on passe d'un espoir déçu à l'autre, d'une piste stérile à la suivante ; tout repose sur la routine et la fausse somnolence, l'épluchage d'archives et les coups de pouce du destin, comme une préfiguration de The Wire, pour illustrer une facette méconnue et ingrate de l'apostolat policier. En McNulty belge, le Capitaine Haddock est déchiré entre sa passion pour l'alcool et sa soif de justice. Il agit sur des coups de tête, passe du découragement à l'euphorie en quelques secondes, et montre une nouvelle fois une grande bonté derrière sa sauvagerie.
Hergé, désormais en pleine confiance de ses moyens, multiplie les coups de poker improbables qui font mouche. Ainsi pour débloquer l'intrigue, il se réappropriera le gag de la brique et du chapeau, usé jusqu'à la corde, premier détournement de codes d'une longue série qui culminera avec les Bijoux de la Castafiore. Il fera également intervenir le général Alcazar, un personnage secondaire qu'on avait découvert en dictateur sud-américain et qui apparait ici en mystérieux lanceur de couteaux dans un music-hall. Le salut pour nos héros viendra de ses précisions concernant un indien ombrageux, descendant des incas. L'enquête devient donc mystique (ce qui n'étonnera pas les lecteurs qui suivent depuis le début), et nos héros vont devoir s'envoler pour le Pérou en espérant déjouer la malédiction qui pèse sur leur ami.
Contrairement aux épisodes suivants, il n'y a pas une grande charge symbolique ici. Tout repose sur l'intrigue et le suspense, et c'est (peut-être) le plus passionnant des albums de la série. Il montre en tout cas à quoi aurait ressemblé Tintin si son auteur n'avait pas laissé tomber par la suite l'aventure pour le questionnement métaphysique et la mise en scène de ses tourments intérieurs.