Aller voir Ed Ruscha a la Hayworth Gallery était une absolue nécessité, ni la neige ni les problèmes de transport n'ont parvenu à devenir des obstacles.
L'exposition du Jeu de Paume en 2006, menée à bien par Margrit Rowell, pour qui j'ai une très grande estime (elle a écrit des textes brillants sur Sigmar Polke), abordait les oeuvres photographiques de l'artiste. L'exposition de Londres offrait un contre-point intéressant en ne présentant que de la peinture.
Cet artiste me fascine : ses oeuvres sont à la fois drôles, légères et très énigmatiques. La manière dont on formule les mots et les conceptualise — enjeu essentiel de son travail, se cristallise au fil de sa pratique et devient une formule rhétorique, un procédé et le sujet réel, le mystère inhérent du langage, de plus en plus impalpable.
Ses oeuvres génèrent bien plus de questions et d'émotions que le systématisme aride d'un Lawrence Weiner, dont l'oeuvre me provoque une sensation, parfois intense de malaise : sa perspective sur le langage comme codage dense et lisse, la littéralité des signes sont très anxiogènes.
L'exposition à la Hayworth était un peu décevante. La première partie de l'exposition était agréable, par contre, la sélection des oeuvres réalisées à partir des années 80 était moyenne et la belle architecture en coffrage de béton du lieu mal exploitée. On peut se perdre au premier niveau dans les galeries labyrinthiques, ce qui convenait bien aux expérimentations picturales des années 60-70. Cependant, les grandes salles du 2e étage donnait une monotonie a une oeuvre qui continuait à se transformer.
La belle surprise a été l'exposition de John Baldessari à la Tate Modern, dont je n'attendais pas énormément, peut-être parce que je connaissais surtout ses oeuvres des années 70. J'ai découvert un grand artiste.
La rétrospective est très bien menée, mettant en valeur à mes yeux deux pistes majeures qui ont jalonné sa carrière : un intérêt pour la peinture, particulièrement pour l'abstraction géométrique et pour la photographie, particulièrement pour le mouvement des images.
Il a comme des obsessions : cette récurrence depuis les années 60 de formes géométriques primaires ; elles apparaissent dès les années 70 dans les photographies puis déclinent le spectre lumineux... jusqu'à devenir des pastilles multicolores, comme sur les overlap series. Et puis il y ses espèces de chronophotographies qui s'étalent sur les murs en compositions. Ses images donnent toujours à voir des instantanés, qu'il découpe et refond comme pour extraire quelque chose, une représentation d'une représentation du mouvement.
Entre cette exaltation du "point fort" chromatique et une recherche figurative sur une "essence" du mouvement, Baldessari est proche des problématiques picturales du baroque.
En fait John Baldessari et Ed Ruscha entretiennent de nombreux rapports de complémentarité : ils ont tous les deux été attirés par le statut quo de l'art conceptuel sur la peinture dans les années 70 et ils ont tous les deux travaillés avec la photographie comme médium et outil critique de la peinture. Ils ont tous les deux finis par faire des grands formats qui entretiennent des rapports étroits avec la peinture d'histoire.
Je voudrais mettre en parallèle ces oeuvres récentes des deux artistes qui m'ont beaucoup touché.
Ed Rsucha, Azteca et Azteca in decline (2007)
Baldessari, Fissures (Orange) and Ribbons (Orange, Blue) : with Multiple Figures (Red, Green, Yellow), Plus Single Figure (Yellow) in Harness (Violet) and Balloons (Violet, Red, Yellow, Grey) (2004)