"Or, si nos entreprises ont acquis au cours des vingt dernières années des muscles épais et solides, si leur capacité de production a formidablement progressé, leurs cerveaux, eux, sont restés petits. [...] Maintenant, le temps est venu de parler, de se parler, de vivre, risquons le terme, relativement heureux et détendus sur le lieu de travail".
Serait-ce le cabinet Technologia qui s'exprime ainsi sur la situation de France Telecom, ou alors un expert auto-proclamé à propos du fameux équilibre vie privée-vie professionnelle ?
Pas du tout, il s'agit d'un extrait de l'Imprécateur, Prix Fémina 1974, écrit par René-Victor Pilhes, ancien publicitaire (ce qui ne manque pas de charme rétrospectif, à la lecture du livre).
L'Imprécateur, c'est un roman de 350 pages qui s'avale avec gourmandise, autour de la thèse suivante: la course effrénée au profit au sein des grandes entreprises conduit à ravaler les valeurs humaines au rang de cale-porte.
Plein d'humour et de verve, Pilhes nous invite donc à la découverte de Rosserys & Mitchell, une grande entreprise internationale, qui se targue entre autres de faire valser les présidents en Amérique du Sud (le Chili par exemple...) ou d'influer sur les cours du pétrole.
Une vraie grosse entreprise où l'introspection et la remise en question ne font pas partie des qualités attendues du super management.
Un univers pétri de certitudes auquel s'attaque un mystérieux imprécateur, par la diffusion de pamphlets satiriques au sein du petit personnel.
La préface de l'édition chinoise de l'ouvrage présente ainsi l'Imprécateur: "L'Imprécateur raconte donc l'histoire d'un combat étrange entre des forces inconnues, mystérieuses, irrationnelles, occultes, et ce que le monde occidental a de mieux, de plus moderne, de plus exemplaire en cette fin de siècle, et qu'il présente comme tel : ses organisations technologiques, finançères, administratives, économiques, qui se déploient partout dans le monde. Dans la hiérarchie des valeurs et des exemples, les " managers " , les chefs de la " guerre économique mondiale " ont remplacé les instituteurs, les prêtres, les artistes, les militaires, les philosophes, les serviteurs de l'état."
Bref, un bouquin à découvrir et relire. Et pour les amateurs, un film (super galère à trouver...) a été tiré de l'ouvrage, réalisé par Jean Louis Bertucelli, avec Jean Yanne, Michel Piccoli, Jean- Pierre Marielle, Marlène Jobert, Jean-Claude Brialy...