Erreur d’optique, due aux lunettes keynésiennes : la consommation n’a jamais été le vrai moteur d’une économie. Ce qui fait tourner la machine économique, c’est la création et le développement des entreprises, qui ont besoin d’une épargne pour investir. Et il faut aussi souhaiter investir. Mais les entreprises n’ont guère de visibilité.
Ce qui fait la compétitivité d’une économie, c’est l’investissement privé, et non la consommation. Or, tant que l’économie mauricienne reste peu compétitive, le seul effet du boom de la consommation sera de provoquer une envolée des importations et donc du déficit extérieur. Dans ce cas, il n’y a aucune retombée sur la production locale.
Un déficit commercial en soi n’a rien de catastrophique, surtout si la roupie s’apprécie contre le dollar américain. Mais aujourd’hui, il est le signe des faiblesses d’une économie qui ne crée pas assez d’emplois et de richesses. Il faut espérer que les exportateurs mauriciens bénéficieront de la reprise des marchés extérieurs.
Sinon, comme les Mauriciens achètent avant tout des produits importés, ce sont les concurrents étrangers qui profitent de ces dépenses. Cette consommation a été possible grâce à l’évolution favorable des prix, l’inflation étant limitée à 2,5% cette année. Ensuite, l’inflation perçue par les ménages est très supérieure à l’inflation réelle, car ce sont les prix des produits courants qui grimpent le plus. Il s’ensuit alors une sorte de fuite devant la monnaie.
Le pouvoir d’achat a en partie progressé par la sagesse des prix plutôt que par les hausses des salaires. Mais si les Mauriciens ont pu consommer plus que ce que la hausse du pouvoir d’achat aurait dû permettre, c’est qu’ils se sont endettés et ont massivement réduit leur épargne. Les ménages épuisent dangereusement leurs réserves financières. Ils vivent à crédit, et l’Etat fait de même : ce ne sont pas les caractéristiques d’une économie durable.
D’un côté, les ménages puisent de plus en plus dans leur épargne, et le taux d’épargne ne cesse de diminuer : de 28,4% du produit intérieur brut (PIB) en 2001, il chute à 13,6% en 2009. De l’autre, ils s’endettent parce que le coût des crédits est encore accessible dans la mesure où la concurrence bancaire joue à plein régime. L’équation est simple : plus de crédits, moins d’épargne. Mais il faudra bien rembourser demain, au moment où les dépenses publiques explosent avec une hausse annuelle de 14%.
Par conséquent, les déficits publics augmentent. Certes, un déficit budgétaire de 4,5% du PIB est considéré raisonnable dans un contexte de crise. Il demeure quand même élevé. On n’échappe pas à la loi économique qui veut que les déficits d’aujourd’hui sont les impôts de demain : c’est la génération future qui portera le poids final des déficits actuels.
Le déficit public s’accroît, le taux d’épargne se réduit : les deux phénomènes sont liés, car un déficit accru implique un recours plus élevé à l’emprunt, donc à l’épargne des ménages. C’est le secteur privé qui fera les frais de ce dérapage des déficits, puisque l’épargne qui finance les déficits publics ne sert pas à financer les investissements productifs. Plus l’Etat emprunte, moins il reste de financement pour le secteur privé. Cet effet d’éviction joue encore plus si l’épargne diminue alors que l’Etat emprunte davantage. Mais le secteur privé se satisfait de son Additional Stimulus Package (paquet de relance).
La conjonction des déficits publics accrus et de la contraction de l’épargne risque d’entraîner l’économie mauricienne dans une spirale infernale. Pour l’éviter, il faudra à l’avenir réduire les dépenses publiques, seul moyen de faire diminuer le déficit et, par voie de conséquence, la dette du secteur public. Celle-ci s’est rapprochée du seuil fatidique des 60% du PIB. Entre-temps, la charge de la dette (c’est-à-dire le poids des seuls intérêts) pèse de plus en plus lourd dans le budget, aggravant le déficit, et elle est devenue le deuxième poste budgétaire après la Sécurité sociale et devant l’Education.
On n’a pas eu l’impression que le ministre des Finances, Rama Sithanen, s’inquiète outre mesure de la faiblesse de l’épargne. Dans son discours budgétaire, il fait ressortir que les dépôts bancaires ont crû plus vite que le PIB. Mais justement, cette très forte expansion monétaire est la cause d’un excès de liquidités dans l’économie, et elle est une source potentielle d’inflation.
Ce sont les dépôts, et non les prêts, qui sont à l’origine de la création monétaire : les dépôts font des prêts qui font des dépôts qui font des prêts, et ainsi de suite. En coupant drastiquement le taux d’intérêt, la Banque de Maurice a accéléré ce processus et favorisé des crédits de circulation, une monnaie créée à partir de rien, sans contrepartie d’une épargne réelle provenant de la production. Tout dépôt n’est pas nécessairement de l’épargne réelle.
La relation entre l’épargne et la croissance économique est à double sens. Dans un pays à revenu moyen comme Maurice, c’est plutôt l’épargne qui est à la base de la croissance. Et c’est le taux d’intérêt, et non le revenu, qui dicte le niveau de l’épargne vu qu’il reflète le prix de la rareté relative du capital.
Compensation salariale, relance des importations et de la consommation, et hausse des prix pétroliers et alimentaires pourraient affaiblir la roupie au début de l’année prochaine. La Banque de Maurice devrait se tenir prête à relever le taux d’intérêt en juin, du moins juste avant les élections.
Éric Ng Ping Cheun est Président de la Banque de développement de Maurice et dirige le think tank PluriConseil.