L’Etat, l’Interweb et son tarif social

Publié le 21 janvier 2010 par H16

Notre merveilleux gouvernement, toujours prompt à faire dans le socialisme, et de surcroît très enclin à vouloir museler maîtriser les outils de communications qui ne lui sont pas totalement inféodés familiers, a donc dernièrement décidé de proposer, très sérieusement et sans sourciller, la mise en place d’un Internet à Tarif Social. Snif, Snif ? Mais ? Mais ?! Mais on dirait bien une odeur de déjection, là, tout d’un coup…

Je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises : si les politocards qui nous gouvernent sont experts, c’est exclusivement dans le mensonge, le pipeau, le blabla froufroutant de la politique-paillette, dans le spectacle, les jongleries, bouffonneries et autres clowneries. Pour tout le reste, ils sont – passez-moi l’expression – à chier tout nu sur la moquette du salon.

Et Fillon, aussi inoffensivement benêt puisse-t-il paraître, n’échappe pas à la règle : il ne connaît rien de rien à l’Interweb. Les p’tites connexions, les p’tits fournisseurs d’accès et les p’tits abonnements, tout ça, c’est du babylonien pour lui.  Tout ce qu’il sait, c’est que son patron lui a demandé de faire, une fois encore, un peu de foin autour d’une idée générale, histoire d’occuper le terrain et éviter que le vide intersidéral de sa politique sociale et économique ne devienne visible.

Alors, en courageux petit soldat, François se lance dans un petit discours mal troussé. Utilisant tous les artifices habituels et la mitrailleuse à bons sentiments, on apprend ainsi que, je cite :

« Internet est devenu un outil essentiel au même titre que l’électricité, y accéder à un tarif abordable et à haut débit est un impératif de justice sociale »

Voili, voilà, Internet, c’est de l’essentiel comme l’eau et l’électricité. Moyennant quoi, on veut imposer un tarif à 20€, dit tarif de base, aux fournisseurs… On regrette, d’ailleurs, au passage, que la constatation ne soit pas allée plus loin. Je la refais, version Plus de Couilles :

« La téléphonie mobile sur iPhone d’Apple est devenu un outil essentiel au même titre que l’électricité, y accéder à un tarif abordable ainsi qu’à iTunes pour pas trop cher est un impératif de justice sociale »

Vous voyez, ça marche aussi. Et comme mon espace n’est pas trop compté, je vous en refais une autre, version Once More, With Feelings :

« Les sex-toys sont devenus des outils essentiels au même titre que l’électricité, s’en procurer à un tarif abordable et à des coloris variés est un impératif de justice sociale »

Et là aussi, ça fonctionne encore. Ça fonctionne d’autant bien qu’on peut, finalement, mettre n’importe quoi : pour des raisons de justice sociale, on peut ainsi réclamer de la confiture sur chaque tartine le matin, le caviar et le champagne pour tous à partir de 21h, et tout ce que vous voulez au milieu à commencer par un patron sympa et des collègues rigolos. Question de justice sociale, vous dis-je (ah bah oui : c’est un concept flou dans lequel on peut mettre n’importe quoi, moi j’ai choisi les putes et le champagne, vous, vous pourrez prendre les haricots verts et le jambon si ça vous amuse, chacun son trip).

Mais le plus amusant, au delà du blabla de politicien à la graisse de hérisson, c’est la justification vasouillarde fournie pour expliquer cette nouvelle lubie gouvernementale : si l’on veut mettre en place un tarif social d’Internet, c’est parce que, suite à une étude du Crédoc de juin 2009, on a découvert que les « box » internet étaient finalement plus rentables pour l’utilisateur final que l’abonnement France-Télécom de base, qui ne fournit qu’une ligne téléphonique pourrie, un service tout minable et le tout à des tarifications obscènes et rigoureusement incompréhensibles pour le pékin moyen.

Là, on peut s’imaginer le ministre découvrant le rapport : « Oh, mais, argh, que lis-je ici ? » Yeux exorbités, lippe pendante, cheveux ébouriffés devant l’impitoyable réalité qui prend corps à chaque nouvelle ligne parcourue d’une main fébrile.  « Par la peste, ainsi donc, le ci-devant opérateur national devenu historique n’est pas capable d’assurer un service comparable à Free ou Numéricâble ? Tudieu, j’enrrrraââage ! »

Le sourcil se fronce et se fait ombrageux, l’œil auparavant fol et hagard se fixe brutalement et focalise l’horizon, la lèvre se ressaisit et, d’une voix grave et impétueuse, le ministre décoche, implacable : « Cela ne peut être ! Si Dieu me prête vie et courage, mon armée de fonctionnaires va produire moult lois et forces règlements et nous viendrons à bout de la misère et de la fracture numérique ! Foin de tergiversations, mes amis ! Haut les coeurs et boutons l’Interweb cher hors de Fraônce ! A moi, du Fisc et de la Culture, à moi, de la Justice ! Chevalier Hadopy, en avant, imposons le Tarif Social de l’Interweb !  »

Bon, c’est un chouilla romancé, on s’en doutera, mais je ne pense pas être trop loin de ce qui a pu se passer dans la tête du mange-buvard qui a pondu ce remarquable morceau d’anthologie. Car à bien y réfléchir, ce tarif social, c’est de la couille en barre. On dirait du Sarkozy de première bourre : effet d’annonce, dossier mal documenté, pas de concrétisation.

Le ratage.

En effet, d’une part, des offres commerciales à 20€ existent déjà. Chez Alice et Numéricâble, par exemple. Zut et crotte. Pour faire vraiment peuple, il aurait fallu proposer un tarif social à 5€, voire Internet Payé Par Tous Gratuit Pour Tous ; aussi stupide, mais moins petit bras. Et avec une telle mesure, on aurait certainement eu les applaudissements du public. Or, si pour avoir du gâchis, il suffit de laisser faire l’État, pour obtenir une grosse catastrophe, rien de tel que le soutient financier du contribuable.

Et d’autre part, non, Internet n’est pas un indispensable pour vivre. On trouve des cafés internet, on trouve des hot-spot wifi gratuits ou à des prix ridicules, et on peut, si si, s’en passer complètement.

Surtout, comme le dit fort justement keeg sur son blog, cette idée de tarif social revient à traiter les conséquences de la misère, et surtout pas les causes.

Ceci étant posé, on peut se demander ce qui passe dans la tête d’un ministre pour oser présenter un machin aussi puissamment ridicule. Car, dans ce bas monde, rien n’est réellement gratuit, et surtout pas les actes de politiciens chevronnés qui, s’ils sont violemment techno-challenged, n’en savent pas moins manier les médias pour, comme des magiciens de Prisunic, cacher ce qu’ils fomentent en douce.

En effet, on sait déjà depuis un moment que si l’on veut tuer un domaine, rien de tel que de le subventionner. Le jeu vidéo français est l’exemple le plus récent qui me vienne à l’esprit, mais on peut prendre à peu près n’importe quoi, ça marche toujours pareil : on veut d’abord tout contrôler, on n’y arrive pas trop, alors on subventionne, puis le niveau général s’effondre et enfin, on noyaute et on musèle.

De loin, on dirait l’histoire de la presse en France. Ou celle du cinémaâah français d’ôôteurs. Ou de n’importe quel domaine sur-subventionné, subsidié comme un vampire sous perf. Passées quelques années, c’est la cata : presse pourrie, cinéma risible, et plus aucun studio de création de jeux vidéos crédible sur le territoire français. Efficace.

De plus, avec HADOPI, on avait déjà eu un aperçu de la puissance de feu et du calibre des débilités auxquelles on allait devoir faire face dans les prochaines années.

Avec le traité ACTA, on change de niveau. Cela rejoint, d’ailleurs, mon précédent article sur l’Italie dont les poussées de censure laissent penser que la tendance n’en est qu’au début. Ici, il s’agit de mettre en place des règles internationales très contraignantes pour, littéralement, museler la créativité telle qu’elle existe actuellement sur Internet.

Or, si le Réseau des réseaux ne jouait pas un rôle de plus en plus important, il est évident que les politiciens ne s’en occuperaient pas autant.  Un conclusion s’impose donc : s’ils veulent tant le contrôler, c’est qu’il y a fort à gagner pour eux, et beaucoup à perdre pour les défenseurs de la liberté en les laissant faire.

La contre-mesure est simple : informez-vous, restez vigilants, dénoncez ces élus qui fricotent tant avec ces lobbys assis sur une rente indue.

Bon courage.