On avait pris l’habitude de les croiser au coin d’une rue, sur les tôles du métro ou sur les murs de l’école. Leur impertinence, selon les gouts, égayaient ou au contraire défiguraient notre milieu urbain. On a beau dire, ils reflétaient l’expression nouvelle, rebelle et intrépide de la riche culture urbaine de la fin du 20e siècle.
Et voilà que l’on retrouve ces œuvres issues du milieu underground offertes à la lumière des galeries et autres lieux d’exposition de l’art officiel et autorisé. La Fondation Cartier n’a pas raté l’occasion de rendre hommage à cette nouvelle tendance en proposant une rétrospective complète, ludique et attrayante.
De toute évidence, personne n’arguera du contraire, le graffiti et toutes ses formes variées est un pur enfant de la rue, né dans les quartiers déshérités de Brooklyn à Barbès, en passant par Sao Paulo.
Chômage, pauvreté, drogue, promiscuité, populations déracinées, criminalité omniprésente, sont autant d’éléments qui ont constitués un cadre propice à l’émergence de cette forme d’expression marginale.
Fortement connotées par des revendications identitaires et politiques, jusque là étouffées, ces modes de communication ont clairement représenté une soupape de sécurité pour des générations frustrées par une vie sans réelle perspective.
Exerçant leur art alternatif sur des supports improbables et imprévus, les as du graffiti n’ont pas hésité à franchir les limites du risque physique ou de la Loi, conférant à leur réalisation un caractère résolument unique.
Pourtant, les multiples succès rencontrés par ces peintures murales ainsi que la vulgarisation de ces exploits urbains, à l’approche de la fin du millénaire, ont progressivement projeté une grande partie du mouvement sous l’œil du grand public. Cette nouvelle légitimation et reconnaissance ont permis à de nombreux artistes de sortir de la clandestinité et de vivre de leur pratique au grand jour.
L’ensemble de la société à appris à apprécier et à profiter de cet art nouveau, sans qu’il ne constitue plus une transgression ou une atteinte à l’ordre public.
A ce titre, la Fondation Cartier n’a pas hésité à passer commande à trois pionniers du graffiti newyorkais, en la personne de P.H.A.S.E. 2, Seen ou encore Part One. Moyennant rétribution ces anciens clandestins du pinceau ont d’une certaine façon vendu leur âme afin de nous permettre d’admirer leur talent sur les murs aseptisés de la Fondation.
Sans bouder notre plaisir, on ne peut que s’interroger, après avoir arpenté les allées de l’exposition, sur l’authenticité de ces graphismes, autrefois porteurs d’une réelle contestation sociale et aujourd’hui offerts à notre regard dans un cadre confortable.
Le graffiti n’a-t-il pas perdu son essence originelle en accédant au statut conformiste d’art officiel ?
Pixo ou le graffiti à la brésilienne.
Caméra à l’épaule, Roberto T. Oliveira, parcourt les rues ardentes de Sao Paulo, empruntant les pas de Di, AGN ou Animal, au cœur du phénomène Pixo.
Mi-voyous, mi-artistes, ces centaines de jeunes issus des fameuses favelas de cette immense ville, revendiquent haut et fort le Pixo comme « la voix du peuple » et plus généralement comme l’expression d’un profond malaise social et politique.
« Le pixadores a trois motivations principales : protestation, reconnaissance sociale et loisirs » affirme clairement Roberto, un des principaux acteurs du documentaire.
A travers ses images, mais aussi en utilisant les images personnelles des pixadores, le réalisateur nous plonge dans l’univers de ce mouvement populaire. On suit ces rebelles, portés par l’adrénaline générée par des acrobaties au danger bien réel, sur les toits des imposants immeubles de la métropole brésilienne, mais aussi dans leurs déboires avec les forces de police qui tentent de contrecarrer leurs actions.
Qu’on adhère ou non à leur combat on ne peut s’empêcher au sortir de ce documentaire de ressentir une empathie certaine pour ces jeunes assoiffés de liberté allant jusqu’ à risquer leur vie au nom d’une expression identitaire et originale.
Koudje Sylla