Adolphine Dibangui – le 20 janvier 2010. Devant l’ampleur de la catastrophe à Haïti et le nombre de victimes on peut s’interroger sur l’importance des dégâts causés par le tremblement de terre. Aurait-il été si meurtrier et dévastateur si le pays n’était pas engoncé dans un tel état de pauvreté ? Les fragiles bidonvilles et le manque d’infrastructures qui, ont sans nul amplifié les conséquences de la catastrophe, sont un signe évident de la pauvreté en Haïti. D’après le rapport de 2007 du Programme des Nations Unies pour le Développement, 78% de personnes y vivent avec moins de 2 dollars et plus de la moitié, 53,2% de la population avec moins d’un dollar par jour. Qu’est ce qui explique en Haïti cette paupérisation aiguë des populations qui a conduit avec le cataclysme du récent tremblement de terre à l’anéantissement de l’île?
C’est d’abord une longue liste de politiques imposées de l’extérieur par les institutions internationales et notamment les politiques d’ajustement structurel prônées par le concensus de Washington . Elle consiste à pratiquer des réformes pro-marché, en soit plutôt une bonne chose pour le développement mais sans le socle institutionnel nécessaire, l’échec est inévitable. Les indicateurs de la qualité institutionnelle ne trompent pas : en 2009 Haïti est classé 168ème sur 180 dans l’indicateur de perception de la corruption, 154ème sur 183 pour le climat d’affaire.
Le pays a ainsi subi la restriction budgétaire, le gel des salaires, les réformes fiscales et une privatisation hâtive dès le début des années 80 pour Haïti. Dans ce contexte, en 2003, la libéralisation du marché sans les institutions du marché, avait une augmentation des prix des produits de base. Ce qui a fait grimper le taux d’inflation de 26,1%, et fait chuter l’économie du pays. En 2009, il se positionne à la 149ème place du classement mondial de l’Indicateur de Développement Humain, avec un PIB par habitant de 410 dollars et pour 78 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Dans le même temps son autosuffisance alimentaire a été fortement diminuée. Alors même que dans les années 70, elle produisait près de 90% de son riz, un aliment de première consommation pour les haïtiens, elle doit subir la pression des institutions financières internationales dans le cadre des programmes d’ajustements structurels, pour l’ouverture de son marché. Le consommateur haïtien peut y gagner mais les règles du jeu ne sont pas honnêtes : en 2008, ses produits de base alimentaires proviennent alors pour l’essentiel des Etats Unis dont l’agriculture est subventionnée, contrairement aux principes même du consensus de Washington.
La dépendance est donc créée de manière politique. La déforestation, les multiples cyclones, la hausse des cours mondiaux de produits céréaliers, ainsi que l’absence de réformes agraires de la part du gouvernement haïtien ont aggravé le problème de la faim en Haïti. En 2008, on estime que sur les 9 millions que comptent la population 6 millions souffrent ainsi de ce fléau.
Mais c’est aussi la dépendance à la dette qui mine le pays. S’étant affranchie du joug de l’esclavage et indépendante depuis 200 ans, en payant paradoxalement sa liberté à la France par une indemnisation aux colons français de 1825 à 1938, l’île croule en effet aujourd’hui sous le poids de la dette contactée auprès des institutions financières internationales. Le montant de la dette perçue au titre de l’aide au développement s’élève aujourd’hui, d’après le CADTM, (le Comité d’annulation de la dette du Tiers Monde) à près de 1884 millions de dollars avec les indemnités et les pénalités. En 2005 déjà, Haïti a dû verser à la Banque Mondiale près de 52,6 millions de dollars.
Si ces multiples réformes préconisées par le consensus de Washington et ces dettes honteuses quasiment imposées à Haïti ont contribué à une paupérisation exorbitante d’Haïti, suffisent-elles pour autant à expliquer la tragédie haïtienne ?
L’État haïtien est en effet aussi responsable de cette pauvreté et de cette dette qu’il a gaspillée. Pour cela il faut bien comprendre l’histoire du pays. Depuis 200 ans la gestion politique est chaotique en Haïti. Gangrenée par les luttes fractionnelles pour le pouvoir, par le clientélisme, la corruption et alimentée par les nombreuses phases d’insécurité et d’instabilité politique, la nation haïtienne n’a jamais pu mettre en œuvre les mesures de développement efficaces, et des réformes appropriées. Loin de l’intérêt général les dirigeants politiques d’Haïti ont le plus souvent été occupés à ruiner le pays au détriment de la population qui sombre dans la pauvreté.
Après le règne des Duvalier père et fils, de 1957 à 1986, qui marqua la décadence politique en Haïti et le pillage du pays par la famille, l’espoir vient de Jean Bertrand Aristide président démocratiquement élu. Mais il déçoit et quitte le pouvoir en 2004. Il est vrai qu’il a dû affronter les grandes familles importatrices qui tiennent le pays sous leur coupe. Après la tutelle de l’ONU de 2004 à 2006, René Duval est élu président et hérite d’un pouvoir. Au vu du niveau catastrophique des indicateurs de qualité institutionnelle on comprend que le développement économique de son peuple ne soit pas au rendez vous. L’intérêt du peuple ne fut pas pris en compte. Ainsi, le pays ne produit rien ou presque et vit essentiellement des importations et de l’aide alimentaire, l’économie reste en profonde récession.
Institutionnellement, au niveau national, la tutelle onusienne est toujours présente et vue les circonstances désastreuses qu’a provoqué le séisme, elle le restera encore longtemps. L’après-séïsme devrait permettre que soit mise sur pied une constitution qui consolide l’état de droit, et qui renforce les instutions du pays. Ce qui est crucial non seulement pour les futures réformes institutionelles, mais aussi pour la stabilité et les réformes économiques nécessaires à l’investissement et au développement économique de Haïti. Dans ces circonstances très exceptionnelles, il serait sans doute primordial pour la communuaté internationale d’annuler la dette haïtienne pour lui donner une bouffée d’oxygène.
Adolphine Dibangui, Diplômée de master en Droits de l’Homme.