Vers un protectionnisme vert ?

Publié le 20 janvier 2010 par Jblully

La communauté internationale n’a pas réussi à s’entendre sur des règles contraignantes en matière de réduction de gaz à effet de serre (GES) ; c’est donc par une approche défensive que certains pays industrialisés – au premier rang desquels les pays européens – risquent de vouloir parvenir au modèle économique “low carbon”. Parce qu’il est vert – c’est-à-dire dédié à la préservation de l’environnement et devant servir une croissance elle-aussi verte – et parce que l’OMC reconnaît, dans le cadre de l’accord GATT, que des obstacles au commerce peuvent être érigés au nom de la cause environnementale, ce nouveau protectionnisme est, pour beaucoup, considéré comme légitime. Par définition, il reste, pourtant, un “protectionnisme”. Par ailleurs, sa mise en œuvre risque de se faire à l’avenir de façon de plus en plus abusive pour servir des objectifs bien éloignés des considérations environnementales. Nouveau paradigme des échanges internationaux, le protectionnisme vert se révèle déjà une nouvelle hypocrisie des États. Promouvoir le respect de l’environnement n’est pas, en effet, une raison pour pratiquer la discrimination et c’est malheureusement le risque le plus important qu’encourent les entreprises sur les marchés étrangers.

L’esprit de solidarité et de coopération qui aurait dû émerger à Copenhague autour d’une base commune qui est la protection des biens publics mondiaux – la terre et son climat – est balayé par un ensemble d’actions unilatérales contredisant les déclarations des États en faveur de la lutte contre le protectionnisme. En lieu et place réapparaissent les égoïsmes souverains.

Une nouvelle hypocrisie ? Le protectionnisme vert en est une à plusieurs points de vue.

Il ne consiste parfois pas tant à protéger l’environnement qu’à à protéger la recherche dans certaines technologies vertes ; les États vont notamment s’employer à protéger “toutes les activités économiques pour lesquelles l’adaptation aux contraintes de protection de l’environnement est génératrice de coûts supplémentaires”, soulignait récemment Hélène Ruiz-Fabri dans Les Échos (8 déc. 09) ; cela pourrait être la tentation de la France qui n’a pas constitué de filières industrielles dans les domaines des énergies renouvelables ; de même, les engagements unilatéraux de l’Union européenne en matière de réduction de GES ont conduit celle-ci à utiliser un large spectre de mesures pour subventionner la production de biocarburants et pour la protéger de la concurrence étrangère ; elles ont aussi conduit certains opérateurs économiques à délocaliser leurs activités à forte émission de CO2 dans les pays hors Europe où les normes environnementales sont plus permissives.

L’environnement ne sera protégé que si les États y voient un intérêt financier ; comme toujours, l’approche “business as usual” devrait l’emporter aux États-Unis et en Chine qui sont ainsi les premiers à s’engouffrer dans le développement des énergies renouvelables ; la Chine est, d’ailleurs, le premier pays à l’origine de transactions confirmées sur le marché primaire du Mécanisme de développement propre (avec 84 % de parts de marché du carbone en 2008 selon la Banque mondiale) ;

L’environnement est aussi le nouveau champ de bataille Nord-Sud ou plutôt du rapport de forces entre l’Occident et l’Asie ; c’est la première fois, avec ce domaine, que le rapport de forces technologiques risque de s’inverser (exception faite du Japon dans les années 1970-80 mais on parle souvent de ce pays comme l’Occident de l’Asie) ; en Chine, les industries respectant l’environnement pèseront pour 7 à 8 % du PIB en 2015 !

Enfin, il y a contradiction, pour l’Europe, à vouloir être leader dans les débats sur le changement climatique – sans grand impact d’ailleurs comme on l’a vu à Copenhague – et à vouloir mettre en place une taxe carbone aux frontières européennes qui risque de générer des représailles ou une réciprocité en chaîne ; à vouloir adopter une posture, à la fois, offensive et défensive, on risque de se “prendre les pieds dans le tapis”.

Plutôt qu’à exercer un protectionnisme vert “fort à la mode” qui attiserait nos relations avec nos partenaires, il serait sûrement plus cohérent de participer réellement à la construction d’une économie low-carbon :

- par des investissements massifs dans les énergies renouvelables dans lesquelles la France est mal placée, soulignait il y a peu Guillaume Sainteny dans La Tribune (7 déc. 09) ;

- par des coopérations pour constituer des matrices énergétiques de plus en plus efficaces avec les pays qui ne sont pas en mesure d’affecter leurs considérables ressources en la matière (solaire, éolienne, hydraulique en Afrique) au développement durable faute de moyens financiers et de savoir-faire ;

- par la mise en place de modes de financement innovants dans la lutte contre le changement climatique d’autant que le marché mondial du carbone n’est pas à l’abri d’une prochaine bulle spéculative, nous prévient Jacques Attali (Les Cahiers de Friedland, 2ème sem. 09)

- ou encore par une approche “environnemental friendly goods” en préconisant la libéralisation commerciale des biens environnementaux au moyen, si cela est plus aisé qu’à l’échelle multilatérale, d’un instrument juridique plurilatéral et sectoriel ; c’est le cas, par exemple, de l’accord de l’OMC sur les télécommunications ; ce serait aussi un moyen de déposer plus facilement plainte à l’OMC à l’encontre de mesures environnementales discriminatoires comme en met actuellement en œuvre la Chine dans le domaine des équipements non consommateurs d’énergie ;

- mais aussi et surtout, par des partenariats avec les pays émergents et ce, au prix de transferts de technologies dont ces derniers sont demandeurs mais qui sont indispensables si l’Europe ne veut pas être exclue ou ostracisée par d’autres puissances qui aspirent au leadership dans ce domaine ; les complémentarités existent ; il faut les rechercher et les exploiter au plus vite et au mieux avec des pays-continents comme l’Inde, le Brésil qui, de toute façon, préparent des matrices énergétiques qui permettront à leurs produits d´échapper aux éventuelles taxes carbone mises en place aux frontières de l’Europe ou des Etats-Unis…