Thelma Ritter, l’oeil de l’Amérique.
On veut vous dire ici à quel point Thelma Ritter fut une merveilleuse actrice, nominée six fois aux Oscars, notamment pour ce film, Confidences sur l’oreiller, mais jamais récompensée.
Elle est géniale dans tous les films où j’ai pu la voir : Chaînes Conjugales, Ève, Fenêtre sur Cour, Les Désaxés… Elle y a souvent un petit rôle, comique mais capital. Elle est souvent la servante ou quelqu’un d’un milieu social moindre que les vrais héros du film, forcée d’être un peu à l’écart, donc un peu observatrice, et elle n’a ni ses yeux ni sa langue dans sa poche. Justement, elle apporte de la vérité dans ces films hollywoodiens qui ne se penchent pas forcément sur le destin de l’ “Amérique d’en-bas”. Elle l’incarne sans faux-semblant, avec un talent et un aplomb renversants, avec sa bouille rigolote et sa voix à la fois aiguë et rauque. Elle est souvent celle qui n’est pas dupe, celle à qui on ne la fait pas : elle se moque des prétentions bourgeoises du couple chez qui elle est la bonne dans Chaînes Conjugales, c’est la première qui voit clair dans le jeu de la jeune admiratrice dans Ève, elle rabroue James Stewart qui s’adonne au voyeurisme depuis sa chaise d’infirme dans Fenêtre sur Cour. En quelque sorte, elle apporte la voix qui manquerait dans la narration, le regard ironique qui met à distance ; elle est, dans une certaine mesure, l’instrument du réalisateur, son adjuvant : elle fait passer le message, sans l’intellectualiser et en nous faisant marrer, juste avec un regard ou une intonation.
Bref, elle fut essentielle au cinéma américain des golden years et on ne comprend pas pourquoi elle n’a jamais eu la reconnaissance qu’elle méritait.