Numéro 36, février 2010. J'ouvre le sommaire : "En finir avec Freud grâce à Michel Onfray", "Le dilemme moral d'Obama", "La découverte de l'absolu par Jerphagnon", "la mort du Parti Socialiste"... Vais-je dire que je suis exaspéré ou blasé ? Ou rire d'indifférence ?
La philosophie ne souffre pas de ces choses-là et elle en souffre. Je veux dire : pourquoi ne pas la laisser tranquille ? Elle a déjà à faire avec ses propres problèmes (les vrais problèmes, c'est-à-dire des problèmes philosophiques)... et voici qu'on la veut d'actualité, sympa, faite de ce genre de suspense-là. Et la question que je me pose : mais on achète vraiment ce magazine ?
La vulgarisation est toujours une farce : les vulgarisateurs ne sont pas les mieux placés pour expliquer la discipline. Vulgariser, c'est tout sauf apprendre. Au pire comme au mieux, le lecteur croira comprendre la discipline alors qu'il comprend ce qui la vulgarise (j'ai arrêté de lire Science & vie à cause de cela !). On légitime souvent cet à-peu-près de connaissance comme une ouverture pédagogique, un appel vers un effort plus exigent et bénéfique, mais c'est largement une illusion. Quand on veut comprendre la philosophie, on plonge dans Descartes, pas dans un commentaire de Descartes qui appellera d'autres commentaires, etc. Et j'imagine que la démarche est identique pour d'autres disciplines, je le vois aussi avec la musique.
Accepter les paliers de l'étude et de l'apprentissage, ce n'est pas se laisser croire qu'on peut faciliter l'accès à un savoir par un sous-savoir. La vulgarisation est faite non d'énigmes mais de phrases chocs, d'éléments faciles à comprendre : l'inverse d'une leçon. On n'apprend pas le piano en jouant sur des mini-claviers à quatre touches. La vulgarisation ne transmet pas les principes d'une discipline, mais c'est ce qu'elle laisse croire. On apprend la philosophie en lisant de la philosophie. Notre époque est bien mesquine et hypocrite de croire que cela n'est pas ainsi, en philosophie comme en tout autre chose : de croire qu'il est possible d'accéder facilement à quelque chose d'important. Ce n'est pas le cas. Tant qu'on ne forge pas l'esprit à l'effort, tant qu'on ne saisit pas qu'il faut lutter dans l'incompréhension pour comprendre, on ne peut que comprendre des choses faciles à comprendre, c'est-à-dire des choses sans intérêt.