Vous vous souvenez que je vous avais confié ne pas pouvoir reviewer deux séries en parallèle, épisode par épisode ?
En fait, après le visionnage de Being Human, je m'étais dit lundi que je ne pouvais laisser de côté cette série dont la saison 2 semble partir sur des rails prometteurs. Seulement voilà, le deuxième épisode de la saison 4 de Big Love m'a juste laissé sans voix, me rappelant pourquoi Big Love avait été ma série préférée en 2009, pourquoi je voue un culte à Chloë Sevigny (et pourquoi elle mérite tant le Golden Globe qu'elle a gagné dimanche)... Bref, tout ce qui fait que Big Love est un des meilleurs dramas actuels, un vrai grand - peu importe qu'on vous ait répété à l'envie que HBO était en déclin et autre bla-bla (et même si je n'arrive jamais à convaincre personne, dans mon entourage, de dépasser ses préjugés quand je prononce les mots, "Utah", "polygamie" et "mormons").
Il était impossible de ne pas vous en parler.
Le rapport du téléphage avec ses séries est généralement complexe. Au-delà des enjeux qualitatif, entre souvent en ligne de compte un autre élément, plus diffus, plus subjectif encore : l'affectif, un aspect sentimental difficile à cerner, qui tend parfois vers une forme d'empathie indéfinissable. Et bien, voilà le lien que j'ai noué avec Big Love. Au-delà de la finesse d'écriture, de la densité des storylines, de l'attachement aux personnages, Big Love me procure, comme ce fut le cas pour ce 2ème épisode, une sensation rare. Je vous parle de ce bref, de ce fameux moment quasi-magique d'osmose avec la fiction que l'on regarde. Cet instant de jubilation inétrieure, où tout s'emboîte, où tout sonne d'une justesse d'orfèvre, où chaque ligne de dialogue vous touche jusqu'au plus profond de votre âme de téléphage. C'est presque unique. Vous avez soudain une envie incontrôlable d'applaudir devant votre petit écran.
Tout téléphage sait combien il faut chérir ces moments-là. Car la question n'est pas d'aimer ou non la série, nous nous situons dans une autre dimension, dans cette zone à part, panthéon inaccessible au sein de notre temple téléphagique, où seules quelques rares séries parviendront (soyons honnête : dans toute ma vie de téléphage, avec les centaines de séries que j'ai pu visionner, elles se comptent sur les doigts d'une, voire peut-être éventuellement, deux mains). Big Love est la seule série actuellement en production à parvenir, de façon répétée, à susciter chez moi une telle réaction. Après un season premiere tranquille, ce second épisode a renoué avec ce qui fait de cette série, une fiction, pour moi, à part actuellement dans le paysage téléphagique.
L'épisode s'ouvre une nouvelle révélation - au sens premier du terme - de Bill concernant son avenir et l'orientation à donner à sa vie. Les attaques politiciennes répétées contre la polygamie, en instrumentalisation la mort de Roman Grant et les enquêtes sur Juniper Creek, le conduisent à s'inquiéter sur l'avenir de sa famille si un tel homme est élu au Sénat de l'Etat de l'Utah. Le casino à peine mis sur les rails, le voilà déjà tourner vers de nouveaux projets, toujours plus ambitieux : Bill envisage de se présenter à l'élection, pour y défendre - une fois élu seulement - le Principe. L'annonce de ce projet au détour d'un dîner familial laisse toute la famille sans voix, incrédule tout comme le téléspectateur. A nouveau, cette scène met l'accent sur le fait que ce sont ses trois femmes qui font la série, la façon dont elles affrontent les épreuves, extérieures ou que leur mari leur impose. Pourtant, le téléspectateur ne peut que les admirer pour les efforts qu'elles font constamment et la souplesse dont elles ont appris à faire preuve. Mais le caractère autoritaire du fonctionnement de la famille n'en est pas moins que plus mis en exergue. Petit empire d'une richesse humaine et d'une complexité incroyable où la volonté de Bill fait loi. Barb va jusqu'à faire la démarche de mentir auprès des officiels de l'Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, dans le but de régulariser leur statut "public" dans l'optique d'une éventuelle candidature.
En plus de cette opposition unanime, le nouveau défi envisagé par Bill conforte Nicky dans une autre ambition, toute aussi hors de propos a priori : et si Bill s'imposait comme le nouveau prophète de Juniper Creek, maintenant que Roman Grant est mort ? A ce stade, il convient de préciser que, pour Nicky, ce n'est pas tant une question d'ambition que la marque d'une profonde crise d'identité, que les derniers bouleversements et tensions avaient quelque peu occulté, mais que la réunion d'adieu avec le procureur réveille avec encore plus de force. La saison 3 avait été témoin de la progressive prise de conscience par Nicky de l'endoctrinement dont elle avait fait l'objet et de toute cette partie de la vie et des sentiments, que son éducation lui a empêchée de connaître. Après une mise entre parenthèses de ses interrogations, en raison de la densité générale des épisodes, elles reviennent sur le devant de la scène, soulignant une fois encore la fragilité de la famille ; et surtout de l'union entre Bill et Nicky. La jeune femme recherche un sens à cette union : quoi de plus logique que de reproduire le schéma traditionnel et réconfortant dont elle a été témoin dans sa jeunesse. Si Bill devient prophète, comme l'était son grand-père, n'est-ce pas un signe si la fille du dernier prophète l'a épousé ? En recherchant désespérément une logique, une raison, à leur union, Nicky semble surtout prouver encore une fois sa volatilité potentielle.
Je pourrais écrire des paragraphes entiers sur Nicky, tant l'ambivalence et la complexité de sa personnalité me fascine. La force de Big Love est aussi d'avoir su créer et faire évoluer trois épouses fortes, personnages centraux qui sont au coeur de la série. Si Barb assume toujours ses responsabilités, s'occupant du casino - où la tension avec les partenaires indiens est palpable - et remplissant le rôle d'épouse officielle, Margene s'est de son côté véritablement libérée. L'immature jeune femme des débuts n'est plus qu'un lointain souvenir. De par son éducation beaucoup libérale, dotée d'une initiative et d'une indépendance qui n'est plus à mettre en doute, Margene s'impose comme une véritable femme d'affaires. Son travail à la télévision lui rapporte un salaire très confortable, d'un montant bien trop élevé pour être simplement mis en commun : il va falloir envisager d'avoir recours à un comptable pour intégrer et protéger ses revenus. Je suis curieuse de voir jusqu'où Bill la laissera aller dans ce processus d'émancipation matérielle, mais aussi morale -car l'insouciance un peu infantine des débuts n'est plus. L'épanouissement personnel de chacun des membres de la famille n'a jamais été bridé, mais l'autorité et l'assise de Bill ne sauraient être remises en cause, sans que ce dernier ne réagisse.
L'autre grande storyline de cet épisode très dense se concentre sur les projets de mariage de Sarah. J'avoue que le simple fait d'offrir de nombreuses scènes à la somptueuse Amanda Seyfried suffit déjà à me combler. Sarah s'interroge sur la voie à prendre, plus précisément sur le mariage à contracter. Religieux ou civil ? Peut-elle s'unir dans une Eglise dont elle n'approuve pas les croyances. On se situe ici dans une problématique particulière pour les Henricksons. Jusqu'où doivent être unies famille et religion ? Tout leur mode est basé sur leur croyance, mais cela peut-il entraîner une forme d'exclusion de la première, si l'on refuse la seconde ? Il s'agit pour Sarah de faire la paix avec toutes les contradictions dont elle est assaillie depuis le début de la série. J'ai apprécié la façon très juste avec laquelle ses doutes sont traités, ainsi que la résolution finale. Tout est chargé d'une symbolique omniprésente très forte : pour inaugurer une nouvelle étape dans sa vie, elle doit au préalable cautériser toutes les plaies de l'ancienne : concernant sa famille, mais aussi Heather, dont la présence s'impose logiquement.
Parallèlement, cet épisode, particulièrement dense, voit le retour de Joey à Juniper Creek, après les évènements du season finale. Un retour hésitant d'un homme plus déterminé que jamais, changé et endurci par ce qu'il a enduré au cours des derniers mois. Il a des ambitions pour la communauté, et voit lui-aussi Bill comme un potentiel nouveau prophète. Cependant, ce semblant de paix arraché avec la mort de Roman paraît d'une grande fragilité. D'autant que J.J. soupçonne la réalité du drama survenu à la fin de la saison dernière. Des secrets et des ambitions qui vont probablement forger de nouvelles tragédies.
Autre secret, de nature très différente, celui d'Albie qui semble décidé à poursuivre cet étrange semblant de relation avec le responsable du fonds chargé de gérer les avoirs de Juniper Creek. Tous deux sont profondément croyants, appartenant à une Eglise qui condamne l'homosexualité. Pour autant, une force plus profonde, plus intense encore, les rapproche. Cette intrigue n'est pour le moment qu'esquisser à travers quelques courtes scènes, mais elle aura probablement son importance dans le futur.
Et pour conclure l'épisode, tout comme cette review, comment ne pas évoquer cette émouvante scène finale du mariage dans le jardin. Poignante, non pas tant pour ce qu'elle représente pour une Sarah qui a enfin fait la paix avec elle-même, entrant dans la vie d'adulte en ayant soldé ses comptes avec son adolescence, que pour ce que ce spectacle symbolise pour Nicky. La jeune femme fond en sanglots, bouleversée. Ces larmes ne renvoient à l'émotion classique que l'on peut éprouver face à un tel évènement ; ce sont des larmes chargées de regrets, d'envies, d'admirations... Un mariage d'amour, réalisé par choix, en conscience, c'est plus que Nicky n'a jamais pu envisager. C'est un autre pan de la vie qu'elle n'a jamais pu explorer. Un idéal utopique dont elle comprend soudain l'importance et le bonheur, alors qu'il est consacré sous ses yeux. Chloe Sevigny est magnifique sur cette dernière image de conclusion.
Bilan : Du grand Big Love, émouvant, complexe, subtile, aux dialogues sonnant avec beaucoup de justesse, il s'agit d'un épisode très (trop) dense qui explore avec beaucoup d'intelligence, la psychologie des personnages. Même s'il souffre parfois de cette extrême richesse, même si l'idée de lancer Bill en politique m'apparaît trop irréaliste, une fois l'heure achevée, j'ai seulement envie de le couvrir d'éloges dythirambiques, pour ces instants fusionnels où j'ai l'impression que la série frôle la perfection.
Les grands arcs de cette brève saison sont désormais clairs. Bill se tourne vers de nouveaux défis, de nouvelles ambitions à assouvir, tandis que sa famille reste fragile, unie mais, en même temps, tendue vers des directions et des aspirations si différentes. Et puis, Nicky est actuellement mon personnage télévisé préféré, cet épisode m'a une nouvelle fois conforté dans cette opinion.
NOTE : 9/10