Difficile d’échapper aux flots d’images et de reportages sur la catastrophe d’Haïti. Dans notre société du spectacle, l’émotion occupe une place centrale. Elle ne constitue pas pourtant la meilleure réponse. Derrière l’Unicef, de nombreuses ONG appellent à ne pas faire preuve de précipitation en matière d’adoption. Le risque serait une dérive du type Arche de Zoé.
Autre illustration de l’emballement émotionnel, une pétition d’un collectif de parents adoptants situé dans l’Ariège réclamant le rapatriement en urgence d’enfants, avait recueilli lundi plus de 12.000 signatures. Ce collectif juge “insuffisantes” les mesures des autorités françaises pour accélérer le transfert des enfants haïtiens en voie d’adoption.
Face à la pression des familles adoptantes de nombreux gouvernements occidentaux sont tentés de faciliter et d’accélérer les procédures d’adoptions d’autant que l’Etat Haïtien est devenu quasi inexistant. Ainsi, les familles américaines candidates à l’adoption d’un orphelin haïtien n’auront plus à attendre que le gouvernement haïtien ait délivré tous les papiers et autorisations nécessaires pour que l’enfant soit transféré vers les Etats-Unis.
Idem en Europe pour la France, la Belgique et l’Espagne, où pour les familles qui ont engagé la procédure d’adoption avant le séisme, la conclusion de celle-ci sera facilitée.
L’ex French doctor Bernard Kouchner a toutefois mis en garde mardi contre des adoptions précipitées d’enfants haïtiens, jugeant que les autorités françaises ne doivent pas être “accusées d’enlèvement”, même sous un “bon prétexte“.
Selon Véronique Taveau, la porte-parole de l’UNICEF à Genève “L’adoption est seulement une option après que toutes les autres possibilités aient été épuisées. Il faut d’abord identifier les enfants séparés ou orphelins, les enregistrer, essayer de retrouver des membres de leur famille, et s’en occuper”. La priorité est de les nourrir, de leur procurer une aide psychologique et surtout de les identifier. “Tous les orphelins ne sont pas adoptables et tous ne sont pas nécessairement abandonnés” a-t-elle conclu.
Au micro de France Info, Bénédicte Jeannerod, la Directrice de l’information et de la communication de l’UNICEF a enfoncé le clou. “Prenons le temps - même si c’est extrêmement difficile pour les familles qui sont en attente - d’avoir une meilleure vision de ce qui se passe pour ces enfants là-bas”, “Il n’est pas question que des enfants qui ont déjà subi un traumatisme très important, avec le tremblement de terre, se retrouvent dans un deuxième traumatisme de déracinement“.
Ce souci d’éviter toute précipitation est partagé par le Directeur du Centre international de référence pour les droits de l’enfant privé de famille (SSI/CIR). Hervé Boéchat s’en explique dans les colonnes du quotidien Helvètique Le Temps : “Une semaine après le tremblement de terre, il y a bien d’autres urgences que l’adoption. L’aide internationale fait face à plusieurs difficultés pour acheminer eau et nourriture à la population. Dans un contexte de catastrophe naturelle, il est aussi extrêmement compliqué de déterminer clairement la situation des familles sur place. En l’absence de preuves, comment garantir qu’un enfant soit effectivement orphelin? En Haïti, c’est encore plus problématique“.
Avec le recul permis par sa fonction, Hervé Boéchat précise : “L’adoption ne peut être une réponse émotionnelle à une catastrophe. Ces appels sont déplacés parce qu’ils sont prématurés par rapport aux besoins actuels. Dans un contexte de guerre ou de catastrophe naturelle, les procédures d’adoption internationale sont généralement gelées pendant trois ans. Songer à accueillir de petits Haïtiens une semaine après la catastrophe n’a pas de sens. Cela revient à compliquer le travail de l’aide internationale sur place. L’urgence est d’assurer les besoins vitaux et non de parler d’adoption”.
Et le directeur de conclure dans ce qui ressemble à une mise en cause de l’attitude des médias :“Le public a de manière générale une mauvaise perception de l’adoption, de ses procédures et de son application. Pour un enfant, il est d’abord essentiel de rester dans un environnement connu et avec ses proches. Il ne s’agit pas de condamner les gens de bonne volonté, mais il est nécessaire de leur expliquer que cela n’est pas si simple. Essayons de nous imaginer dans une situation semblable et de réfléchir à ce qui conviendrait le mieux pour nos enfants”.
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