Tous les lecteurs d’Henry Miller connaissent Conrad Moricand. Il est, sous le pseudo transparent de Téricand, l’astrologue d’Un Diable au Paradis, roman où Miller conte son séjour catastrophique à Big Sur. C’est en 1936 qu’Anaïs Nin présente l’astrologue Conrad Moricand à Miller, il découvre alors un personnage étrange, aux « visages multiples », «un stoïque, traînant partout sa tombe avec lui », « Ce n’était pas seulement un astrologue et un savant imbibé de philosophies hermétiques, mais aussi un occultiste. Dans son apparence il avait quelque chose du Mage » « c’était un incurable dandy menant la vie d’un clochard. Et la menant tout entière dans le passé ». Miller est séduit, non seulement Moricand le renseigne sur l’astrologie mais il s’exprime comme un poète et conte des anecdotes sur les écrivains et les peintres célèbres. Pour l’expatrié de Brooklin, ne parlant pas couramment le français, fasciné par la vie intellectuelle parisienne, les monologues de Moricand sont « un double plaisir – celui de [s’] instruire (et pas seulement en astrologie) et le plaisir d’écouter un musicien ». Plus tard Miller invitera Moricand à venir vire avec lui à Big Sur « c’était un peu comme d’inviter Mélancolie à venir se pencher sur votre épaule » écrit-il, pire, Moricand sera Un Diable au Paradis, et le héros d’un roman tragi-comique. Mais qui était donc Conrad Moricand ? Les bibliographies nous renseignent peu sur le personnage, il ne trouvera d’éditeur que pour ses ouvrages d’astrologie, la liste de ses livres et collaborations (sous son nom ou sous le pseudonyme de Claude Valence) pourtant nous donnent quelques informations sur ses amitiés, consultons la :
Les Interprètes, essai de classement psychologique d'après les correspondances planétaires. Préface de Max Jacob. Paris, La Sirène, 1919, 1 vol. in-12, 72 pp., tirage limité.
Miroir d’Astrologie. Paris, Au Sans Pareil, 1928. in-8, 130 pp. Dédié à Max Jacob. (20 exemplaires numérotés sur bouffant, réservés aux Amis du Sans Pareil). Édition définitive Max Jacob et Claude Valence. Miroir d'astrologie. Paris, 1949. In-16, 256 pp.
Portraits Astrologiques. Paris, Au Sans Pareil, 1933, In-4, 95 pp. Dédié à Blaise Cendrars. 10 Portraits Astrologiques de Van Dongen, Cendrars, Morand, Picasso, Jouvet, Briand, Cocteau, Mandel, Tardieu et L. Daudet. (D’après la déclaration au dépôt légal, le tirage est de 415 exemplaires).
Claude Valence. Les Traces du culte d'Isis dans le nom, l'emblème et le thème zodiacal de la ville de Paris. [Avertissement par Théophile Briant.] Paramé, Éditions du ″Goëland″, (Dinard, impr. de A. Liorit), 1952. In-8, 32 p., pl. en noir et en coul., couv. ill. (publié en 1942 dans la revue Le Goéland.)
Les cinquante rames du navire Argo. Préface de Frédéric-Jacques Temple. Montpellier, à la licorne, 1955. 17 pages (5), 167 mm x 113 mm. Broché, couverture rempliée, imprimée en noir et bleu. Tirage limité à 150 exemplaires sur papier Offset.
Les Signes du Zodiaque suivi de "Comment dresser un horoscope". Bibliothèque des dames et des demoiselles. Cercle Du Livre Précieux, Paris, 1966. In-16. Illustrations hors-texte. Imprimée sur papier bleu, tirage limité à 3000 exemplaires numérotés.
Moricand illustrateur :
Salmon (André) : Mœurs de la famille Poivre. Roman orné de dessins de Conrad Moricand. L'Eventail, Maîtres et jeunes d'aujourd'hui, chez Kundig, Genève, 1919, in-8, 152 pp. 9 illustrations hors texte en noir de Conrad Moricand. Tirage limité à 776 exemplaires.
Cendrars (Blaise) : Aujourd’hui. Paris, Grasset, 1931. In-8. En hors texte main de l'auteur par Conrad Moricand.Articles publiés dans Le Goéland de Théophile Briant :
Déterminisme et astrologie.
Points d’Orgue (extraits)
Conrad Moricand est né en 1887, dans une famille de l’aristocratie suisse. Après son baccalauréat il fréquentera les Académies de Peinture et les artistes de Montmartre et de Montparnasse, c’est à cette époque que dans son hôtel particulier du quartier Pigalle, il rencontre Modigliani, Cendrars, Carco, Picasso, Salmon, Kisling, Cocteau, Van Dongen, et surtout Max Jacob, dont il acquerra des gouaches. Moricand est alors connut comme mécène et collectionneur. Son ami Max Jacob lui conseillera de s’occuper de thèmes astrologiques et servira d’intermédiaire pour la publication de ses premiers livres. En 1935, Moricand est ruiné, Henry Miller écrira « jamais je ne l’ouïs dire le moindre mal de l’homme responsable de sa dégringolade dans le monde », trop confiant, Moricand aurait donc était victime d’un escroc. Il vivra à l’ Hôtel Modial, 21 rue Notre-Dame de Lorette à Paris, jusqu’en 1938, date à laquelle il contracte un engagement dans la Légion Etrangère dont il sera réformé au bout de quelques mois. En 1940 par l’intermédiaire de Max Jacob il rencontre Théophile Briant, fondateur et directeur de la revue Le Goéland, revue qui publiera quelques uns de ses articles. D’après Henry Miller, durant la guerre Moricand fut engagé par un ami pour travailler à Radio Paris, nous ne savons pas au juste quel fut son rôle dans cette radio collaborationniste. En 1944 on le retrouve en Suisse, à Vevey, où il vit d’expédients et de l’aide de quelques amis. En 1947 Miller l’invite à venir vivre à Big Sur en Californie. La confrontation de personnalités aussi différentes que ces deux là ne pouvait aboutir qu’à une explosion qui aura lieux au bout de quelques mois, obligeant Moricand à se réfugier à San Francisco. Immigré sans titre de séjour, il sera arrêté, incarcéré et expulsé des Etats-Unis. Dans un premier temps c’est Théophile Briant qui l’accueillera en Bretagne, puis il reprendra ses habitudes à l’Hôtel Modial. En 1950 il entre dans un asile de vieillards où il écrit alors ses mémoires. Le 31 août 1954, terrassé par une angine de poitrine, il meurt à l’hôpital Saint-Antoine.
Il existe peu de documents sur Moricand, pourtant un numéro double de la revue Le Pont de l’épée, lui consacre un dossier dans lequel on peut trouver une biographie succincte (à laquelle notre billet doit presque tout), une bibliographie, des notes, des articles sur Montherlant, Henri Matisse, Modigliani, des poèmes érotiques, des documents sur « L’affaire Miller » (Lettres à Théophile Briant, Henry Miller, et textes de Moricand sur le cas Miller écrits à San Francisco), et un texte anonyme sur la mort de Moricand. Les documents publiés par Le Pont de l’épée proviennent d’un paquet déposé à la revue par un mystérieux Stephan J. Collier. Les souvenirs de Moricand, Quand le Diable l’emporte, figurant dans la liste de ses écrits inédits, ne figuraient pas dans ce paquet de documents et restent donc à découvrir. Toujours d’après ces documents il existerait à la Bibliothèque Nationale près de deux cent lettres de Max Jacob adressées à Conrad Moricand.
Moricand tenta dans de courtes phrases, parfois vachardes, parfois poétiques de définir quelques-uns de ses contemporains, en voici quelques exemples :
Blaise Cendrars : la pierre à feu. / un rail qui brille sous la lune.
Max Jacob : l’oiseau de feu.
Jean Cocteau : cristal de poche.
Braque : un coffre fort dans un terrain vague.
Honegger : une petite bonne de talent.
Marcel Schwob : un vent de Pâques.
Drieu La Rochelle : la colique internationale.
Jean de Boschère : Baudelaire…de rechange.
Léon-Paul Fargue : le barman de l’Apocalypse. / un samouraï.
Moricand était aussi dessinateur, dans Un Diable au Paradis, Miller décrit ces dessins comme « Pervers, sadiques, sacrilèges. Enfants violés par des monstres lubriques, vierges en train de pratiquer toutes sortes d’actes sexuels illicites, nonnes se déflorant à l’aide d’objets sacrés… flagellations, tortures médiévales, démembrements, orgies coprophagiques et ainsi de suite. Le tout exécuté d’une main délicate, sensible, propre à grossir encore l’élément dégoûtant du sujet traité ». Moricand tentera, sans succès, de vendre une centaine de ces dessins à San Francisco afin de pouvoir rentrer en France. Les sujets scabreux à caractères sexuels ne furent pas les seuls sources d’inspiration de Moricand comme le prouvent les dessins figurant en 1919 dans le livre d’André Salmon Mœurs de la famille Poivre, et que nous reproduisons ici.
Le Pont de l’épée 73/74, 3è et 4è trimestre 1981. Directeur : Guy Chambelland. La Bastide d’Orniols, Goudargues 30630.
Miller (Henry) : Un Diable au Paradis a été édité aux éditions Buchet / Chastel et existe en format poche en 10/18.