Le roman italien, depuis ses fondements modernes manzonniens, est indissociable de l'histoire turbulente du pays, de ses interminables soubresauts sociaux, politiques & régionaux. Rares sont les nations qui, autant que l'Italie, ont cherché à se comprendre, à se voir au travers du prisme romanesque de manière aussi systématique. Qu'on lise vériste, néo-réaliste, calabrais en sandales, intellectuel du nord, résistant communiste, pécheur des Pouilles, qu'on parle du Christ, de la mafia ou d'un couple de milanais qui se bécotent depuis le XIXème siècle, il y a dans la littérature italienne un travail de restitution & de démonstration d'une rare homogénéité. Exploitant le vaisseau d'un roman qui se voudrait métahistorique (Black Flag d'Evangelisti, Q de Luther Blisset, Manituana de Wu Ming au grand complet soit Luther Blisset + 1... mais ça c'est une autre histoire), se réappropriant le polar (La saison des massacres de De Cataldo, fausse suite de Romanzo criminale), prenant le parti d'un point de vue singulier (54 de Wu Ming, l'étonnant Hitler de Giuseppe Genna dont j'aimerais reparler très vite, ou même le Gomorra de Saviano dont on n'a pas su encore définir la véritable nature ni l'entière portée), malgré les chemins de biais qu'elles empruntent les œuvres du New Italian Epic s'imposent les mêmes devoirs que leurs aînées.
En se plongeant dans les nombreux articles traitant du sujet on se rend compte de l'ampleur prise par le débat en Italie. Loin des querelles germanopratines auxquelles nous sommes, malheureusement, condamnés, le New Italian Epic, au-delà des désaccords nombreux & parfois violents qu'il a fait naître, a provoqué une réelle remise en question intellectuelle, & par certains de ses aspects, identitaires, de la part du milieu littéraire italien. Regroupant, on l'a vu, une quantité de textes assez variés, écrits dès le début des années 90, le New Italian Epic a « officiellement » vu le jour en 2008 lorsque Wu Ming 1 (de son vrai nom Roberto Bui) a fait paraître sur internet un texte clarifiant certaines de ses idées & remarques sur la littérature : New Italian Epic. Mémorandum 1993-2008 : Littérature narrative, point de vue oblique, retour vers le futur. Ce texte sera finalement publié par Enaudi au début de l'année 2009. Il a alors déjà engendré un nombre incroyable d'escarmouches.
Borges se moquait gentiment des écrivains français qui avaient la fâcheuse tendance à fabriquer des mouvements littéraires toutes les cinq minutes. Les choses ont depuis bien changé sans que l'on sache vraiment si ça valait le coup. Ailleurs, les "générations" Mutantes & Nocilla en Espagne, Crack & McOndo en Amérique latine ont porté le débat sur la chose littéraire au cœur même de la société, prenant souvent de vitesse les critiques littéraires eux-même. Il est peut être intéressant de remarquer que la quasi totalité des réactions négatives à l'encontre du New Italian Epic sont venues de l'appareil critique, qui n'a rien vu venir. Depuis 2008, le débat n'a pratiquement pas diminué d'intensité & trouve naturellement sa place sur le net ou le lecteur lambda discute littérature avec des auteurs confirmés qui, eux mêmes, se répondent par commentaires interposés. Encore une fois, vu d'ici, ça ressemble à de la magie. En 2010, soit deux ans après l'écriture de ce manifeste, quelles sont les répercussions visibles du New Italian Epic ? De jeunes maisons comme Minimumfax ou ISBN edizioni se sont lancées dans un travail d'édition assez ambitieux. Sans oublier les piliers que sont Adelphi ou la collection Stile Libero d'Enaudi. Les librairies de Turin, qui sont parmi les plus belles que je connaisse, risquent de me voir traîner dans leurs rayons assez souvent. Histoire de vous donner un début de réponse.