Les mots me manquent à certains moments. Dans ces cas là, la sagesse recommande de se taire. Mais voilà, c’est Haïti. Ayiti. Ce sont ces images effroyables qui me poussent à l’ouvrir. Ces quartiers entiers qui se sont effondrés comme souvent la marée effaçait les châteaux de sable bâtis par des petites mains d’architectes en herbe. Ces cadavres qui jonchent les rues. Ce palais présidentiel amputé de son dôme. Tout en Haïti semble être une affaire de symbole. Et ce tremblement de terre prend la forme d’une métaphore de ce qu’est Haïti depuis quelques décennies : un pays sinistré par des années de cyclones, de corruption, de déstabilisation politique, d’embargo économique. Certains y voient une forme de malédiction, mais c’est une très grave erreur d’appréciation qui s’appuie sur une lecture courte et incomplète de l’histoire de ce pays.
Je n’ai jamais voyagé en Haïti. Du moins physiquement. Mais dès la classe de quatrième, j’ai été sensibilisé dans le cadre du cours d’histoire à la question d’Haïti, premier état noir ayant acquis son indépendance à la barbe des troupes napoléoniennes. Une première excursion qui allait être suivie quelques années plus tard par la découverte de mon premier roman haïtien, Les gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. Rencontre non fortuite puisque ce texte fut souvent joué à Brazzaville au théâtre. Stimulant la curiosité du lecteur. C’est donc par la terre des mornes, par la paysannerie haïtienne que j’ai atterri là-bas, avec Manuel. Le drame écologique de cette île était déjà un enjeu majeur.
Depuis, j’ai fait plusieurs expéditions littéraires vers cette île, dans le passé avec Evelyne Trouillot, au cœur de l’esclavage et du climat de terreur dans lequel vivaient les propriétaires terriens blancs à l’époque de Makandal, ou encore avec Aimé Césaire homme passionné et marqué par la figure quasi mythique de Toussaint Louverture. Dans son analyse des débats autour du fait colonial pendant la révolution française, le poète martiniquais, ici essayiste, fourni une très belle analyse des rapports tourmentés entre la France et les différents protagonistes du système colonial, Saint-Domingue étant la perle de l’Empire français de l’époque. Césaire conduit son lecteur, sans vraiment prendre partie, dans la structuration progressive du mouvement d’indépendance d’Haïti sous la férule de Toussaint Louverture.
D’autres pérégrinations se sont réalisées dans des périodes plus récentes, en Ayiti avec René Depestre par exemple du côté de Jacmel, ou avec Gary Victor et ses terribles histoires vodouisantes. Avec Dany Laferrière et son regard porté de l’extérieur comme avec ses deux étudiants haïtiens un peu délurés de Montréal dans le roman qui l’a révélé au grand public, un regard plus nostalgique dans L’odeur de café ou encore avec Lyonel Trouillot et son approche beaucoup plus intimiste…
Les auteurs sont nombreux. Je suis parfois surpris qu’une petite île ait pu engendrer autant d’écrivains aussi originaux les uns que les autres et qui, au travers d’une forme d’embargo culturel, semble être ignorés dans le giron des lettres d’expression française. C’est un sentiment. Une grand-messe (Le festival étonnant voyageur) a regroupé la plupart des romanciers haïtiens au moment où cette catastrophe s’est abattue sur Port-aux-Princes.
Dans l’horreur des images, le scandale des corps sans vie exhibés par les caméras indécentes des médias occidentaux – situation étonnante puisque pour le Tsunami, ou le 11 septembre 2001, le spectateur a été épargné de ce genre d’image, comme si le corps d’un nègre pouvait être exhibé sans vergogne – dans la folie de cette nature qui a dévasté de nouveau cette île, il faut croire que le génie des écrivains haïtiens aidera à la reconstruction de cette capitale. Reconstruction matérielle, mais surtout reconstruction mentale d’hommes et de femmes qui en auront besoin pour l’avenir. C’est ma prière. La littérature m’a rapproché de ce peuple, en dehors du fait que je compte des amis parmi les haïtiens.
Il est question de 200.000 morts. Sur une population de 10 millions, c’est tout simplement monstrueux. La plus grave catastrophe de ces 20 dernières années.
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Que Dieu bénisse Haïti.