- Voilà un exercice difficile déclenché par thom sur Le Golb : Parler musique au lieu de parler lecture...
- J'avais justement dans l'idée, un vague désir, comme ça, de faire un billet sur une chanson qui m'a émue plus que de raison un jour que j'étais devant ma télévision...
Je vais essayer de parler de cette émotion étrange, mais assez débordante, en même temps qu'énigmatique. Dans ce billet, je tenterai juste de raconter comment tout cela s'est passé, et ce que j'ai ressenti...
Mais tout d'abord, parlons un peu du contexte... Alors voilà, un jour où je n'allais pas très bien, je me suis retrouvée devant la télévision, et j'ai regardé avec plus ou moins d'attention un cycle "François Ozon"; enfin, deux films, d'abord "le temps qui reste" , puis, "Un lever de rideau". Le premier est un excellent film que j'ai suivi avec peine mais intérêt, subjuguée par la force du personnage principal qui décide de maîtriser et d'utiliser au mieux le temps qui lui reste. Il est atteint d'une grave maladie et renonce aux lourds traitements pour préparer sa mort et mettre à profit le temps qui lui est imparti afin de faire ce qui lui semble être essentiel. C'est vraiment un film intéressant, bien senti et intelligent. Le suivant est un exemple d'exercice de style au cinéma, qui, dans l'épure de la mise en scène et du décor, met en valeur le texte et le jeu des acteurs. Les dialogues sont très bien ficelés et d'une préciosité un peu agaçante qui fait ressentir"l'insoutenable légèreté de l'être", ou l'inconséquence d'un certain discours amoureux et juvénile. Ces deux jolis films ne m'ont pas pour autant sortie de mon état de torpeur qui me vissait littéralement au canapé. Alors je suis restée devant le poste, incapable d'aller me coucher. Et là, sans que je comprenne par quelle étrange transition les programmateurs ont réussi ce miracle, je me suis retrouvée devant ces images et ce son :
Et je suis restée scotchée ! Prise aux tripes, comme on dit.. . J'ai été happée par ce long plan séquence qui semblait ne pas devoir finir. Sans savoir ni pourquoi ni comment cette femme se retrouvait là, dans cette voiture, en train de pleurer, je me suis sentie avec elle, et j'ai su que j'allais la suivre tout au long de ce qui était à venir. Cette scène m'a bouleversée. La musique qui l'accompagne m'a transportée. Elle semblait être la traduction de la tension interne de l'héroïne, qui débordait en larmes. Et puis, j'ai lu les sous titres. Et là , j'ai reconnu une histoire : c'était "le chevreau de mon père"! Je connaissais bien ce conte , je l'avais beaucoup raconté il y a quelques années au cours d'un projet... j'aimais m'en servir, il fonctionnait très bien et il me permettait de montrer un magnifique livre des éditions Grandir illustré des calligraphies de Franck Lalou...
C'était un moment de pure émotion, cette rencontre d'une image, d'une musique et d'un texte traditionnel bien connu... La composition de l'introduction m'a conditionnée d'une manière très intense pour suivre ce road moovie excellent qu'est Free Zone d'Amos Gitai.
Mais avant de vous parler de ce film, et juste pour le plaisir, je vous propose de regarder Amos Gitai diriger les actrices pour cette scène (le sous titrage est en français) et si ce que je dis vous intéresse, ça pourra vous aider pour la suite de ce message...
Ce film est construit comme une fable ou une allégorie. Il nous montre trois femmes non pas dans un bateau, mais dans une voiture. Elles vont se rencontrer,se disputer, se supplier, s'entraider, se parler, se soutenir, malgré leurs différences et leurs buts différents. Mais la fin sera cruelle et désespérée. L'israélienne et la palestinienne, prises dans leur dispute, (l'une veut récupérer un dû que l'autre ne peut lui rendre), abandonnent allègrement la jeune américaine qui, ne voulant que fuir sans but, quitte la voiture et fonce vers la frontière. Mais nous sommes en Jordanie, dans la free zone, et on entend déjà les soldats qui alertent et qui lui demandent de s'arrêter, les sirènes sont lancées, mais elle court toujours... Les deux autres, dans leur voiture, toutes à leur marchandage, sont devenues sourdes... Amos Gitai nous laisse imaginer la fin, relançant la chanson qui va bientôt accompagner le générique... et, une nouvelle fois, c'est poignant. J'ai trouvé que c'était là encore une étrangement belle figure du désespoir !
j'ai fait quelques recherches sur Free Zone d'Amos
On trouve une belle critique avec des photos bien choisies sur Kinok.com ; Une conférence très intéressante sur le site de la diffusion des savoirs de l'école normale supérieure : Rencontre autour de Free Zone d’Amos Gitaï Jean-Loup Bourget (ENS), Pierre-Marc de Biasi (CNRS) et Amos Gitaï (réalisateur) où l'on comprend un peu mieux le travail original du réalisateur, et la place de ce plan séquence et de cette chanson dans le film.
Vous aurez compris que pour moi, ce fut une vraie claque. Ce que j'ai aimé, c'est être promenée dans une histoire pleine d'histoires. Tous les récits en emboîtement sont contenus dans un début et une fin illustrés par une comptine en forme de boucle. J'ai été vraiment très sensible à cette forme et j'ai aimé penser qu'elle pouvait figurer une certaine condition féminine ou humaine. J'ai même trouvé que ces trois femmes pouvaient être chacune une facette d'un seul personnage en mouvement, en période de changement, de doute et de quête, et en butte à des conflits intérieurs. Ça pourrait bien être une fable, une sorte de vérité universelle, déjà cachée dans la comptine, et racontée ici dans un voyage filmé sur fond de guerre. C'est un beau film, que je vous conseille de découvrir si ce n'est pas déjà fait...
J'ai aussi beaucoup écouté la chanson :Had Gadia de Chava Alberstein.
J'ai été bouleversée en entendant cette voix et ce rythme lancinant qui venait révéler une histoire que je connaissais bien. C'est comme si j'en avais eu la chanson sans en avoir l'air, et d'un coup, cette musique et cette voix surgissaient comme une évidence... L'expérience était assez étrange. En plus, je me suis rendue compte qu'elle proposait une version renouvelée du texte, proposant une fin bien plus intéressante que celle que je connaissais. Après avoir vu le film, j'ai écouté cette chanson en boucle pendant plusieurs jours et je me suis intéressée au texte. J'ai trouvé le texte de la chanson ici et des informations sur la place de ce chant dans la tradition juive et son symbolisme là pour aller vite, ou bien ici mais c'est un peu plus compliqué, et sur wiképédia, c'est très simple mais c'est en anglais.
J'ai fait un petit montage vidéo avec "Le Chevreau de mon père" illustré par Lalou :
C'est un conte, une comptine, on dit aussi une randonnée, pour dire que c'est un texte en boucle. Il en existe de multiples versions dans de nombreux pays et c'est aussi une chanson de tradition juive qui est reprise durant les fêtes de Pâques. Ce chant marque la fin de la Hagada de Pessah et le début du repas exceptionnel qui le suit.
Le livre est magnifiquement rythmé et illustré par les calligraphies de Franck Lalou, et je vous invite à découvrir son travail sur son site. Vous pourrez ainsi apprécier avec quelle créativité il fait vivre son art de calligraphe, l'exprimant sur de multiples supports, et dans des occasions très variées. Il fait également des spectacles où la calligraphie devient danse et musique grâce à son outil "le calamophone" et à la vidéo-projection.
Enfin, je vous propose une petite vidéo de ma composition. Pour ce fameux crossover des blogs, j'ai eu envie de prendre ce livre en photo et d'illustrer les images avec la chanson de Chava Alberstein...
J'ai l'impression que cette vidéo ne s'ouvre que quand elle veut, alors si vous voulez, voilà un lien direct vers google vidéo, là elle s'ouvre sans problèmes....