L’exposition soudaine d’un chanteur dont on chérissait un disque au-delà de toutes mesures place dans une situation paradoxale. Impression un rien snob, concédons-le, qu’un trésor caché, intime, nous échappe ; joie aussi de le voir trouver un public, accéder à une reconnaissance méritée grâce à un nouvel opus que l’on trouve pourtant un rien en deçà du précédent. Surtout, quand il n’y avait jusqu’à présent rien d’autre qu’un disque (Portrait du jeune homme en artiste) et une poignée de chansons, on découvre soudain que ces morceaux ont un visage, on entend leur auteur en interview, on le lit, mais l’ironie, la distance dont il fait montre parfois atténuent un peu la portée de textes que l’on trouvait hier bouleversants. Surtout, il y a ce constat désagréable – périphérique – que certains mettent leurs gros doigts dégueulasse, leurs avis dispensables, sur un disque que l’on n’avait pas du tout envie de leur prêter. Surtout que l’on range désormais ledit chanteur dans une case à laquelle il n’appartient pas (en gros, ce que l’on a appelé "la nouvelle scène française"), à côté d’autres que l’on aime ou pas, mais qui, définitivement, ne partagent pas grand chose avec lui, sinon le goût, peut-être, d’une forme noble et classique – idéalisée – de la variété française estampillée seventies…
Du coup, en allant voir Arnaud Fleurent-Didier hier soir au Méry, Place de Clichy, j’étais assez indécis, un peu inquiet. Je pensais que la scène gommerait forcément la sophistication de ses arrangements, je me disais – je ne sais trop pourquoi – que c’était typiquement le genre de chanteur dont je préfèrerais toujours écouter les disques plutôt que le voir sur scène. Les malentendus (la récupération ?), déjà, m’avaient volé un peu de désir.
Je me trompais. L’année a commencé par un concert formidable, étonnant, où AFD revisita totalement La Reproduction, livrant des versions le plus souvent novatrices, enrichies d'images vidéos, réellement alternatives (My Space Oddity réduite à son refrain), bel et bien durcies parfois… Bref, un concert qui n’avait rien justement d’une simple transposition live du disque, où le morceau La Reproduction vira en jouissive transe acide à la Daft Punk, où L’origine du monde révéla encore un peu plus son fumet Polnarêveur, où les cocottes funky de la guitare rivalisèrent avec des chœurs baroques, sur le fil, où le chanteur nous offrit aussi deux trop rares morceaux d’avant (Portrait du jeune homme en artiste et Une faiblesse de la nature), sublimes. Si l’on sait qu’Arnaud Fleurent-Didier enregistre seul toutes les voix et tous les instruments de ses disques, force était de constater hier qu’un véritable groupe était sur scène, offrant aux chansons d’AFD une homogénéité tant sonore que visuelle : un batteur efficace et discret, mais surtout la touche glamour et les chœurs somptueux de la paire Dorothée de Koon/Milo McMullen, musiciennes à franges et cheveux longs œuvrant respectivement aux claviers et à la basse…
Tous les quatre rejouent lundi prochain, même heure, même endroit… S’il n’y avait eu Rodolphe Burger et Jeanne Balibar au Café de la danse, sans doute y serais-je retourné…
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 19 janvier à 22:46
et non, tu n'aurais pas pu y retourner lundi prochain, car c'est exactement ce que j'ai voulu faire en sortant de ce concert qui m'a donné pour la première fois depuis... 20 ans de découvrir un chanteur français dont la musique et les arrangements me faisaient aussi plaisir que les textes me touchaient, même si je suis bien d'accord que Biolay c'est bien (j'ai pas écouté tout ni en entier, mais c'est bien la preuve que pourquoi j'ai eu envie de tout dévorer quand j'ai entendu une phrase de "AFD" comme tu dis?).... Enfin bref, tout à fait d'accord avec cet article, même si j'avoue ne pas faire partie des happy few qui le connaissaient depuis des années... juste quelques mois...