Laurent Fabius vs Nicolas Sarkozy

Publié le 19 janvier 2010 par Argoul

Le Président, tout comme le monarque jadis, fait jaser la Cour et les Grands. Mais la gauche n’a pas su contrer la tendance naturelle du tempérament bonapartiste français à tout centrer sur le soleil royal. Au contraire ! Le quinquennat doublé des législatives dans la foulée donne un pouvoir sans égal au monarque républicain, bien au-delà de ce que voulait Charles de Gaulle, l’inventeur de la Ve République. A qui la faute, si Sarkozy pense que l’Etat, c’est lui ?

Aussi la Fronde des opposants fait-elle pfuit ! Faute de s’opposer dans l’ordre, on cacophonise en désordre. Dénoncer l’« egoprésidence » masque l’évident « tout à l’ego » des prétendants. On rit en général de leurs ridicules. Le dernier est le courageux Peillon qui se défile au dernier moment d’un débat républicain en revendiquant un « coup médiatique ». Peut-être n’avait-il rien à dire sur le sujet ? Quel électeur sérieux irait confier les clés de l’Elysée et de la force nucléaire à un tel bateleur ? Se défilerait-il de même lors d’un débat européen ou international ?

Il est cependant de savoureuses analyses de la part des plus intelligents. Ainsi celle de Laurent Fabius dans Le Monde du 16 janvier. Il crédite Nicolas Sarkozy « d’énergie », pour aussitôt l’éteindre en « tournis ». In cauda venenum, s’il évoque la méthode, c’est pour la réduire à des « ressorts ». Ainsi suggéré, le Sarko a tout l’air d’un pantin mécanique. Le vocabulaire prépare le terrain subliminal : « agité », confusion », « des codes et des outils », « trappe », « pilonner l’opinion », « embardées », « ficelles », « illusion ». Le lecteur ne peut s’y tromper, il se trouve devant Guignol. La charge est efficace, dommage qu’elle émane d’un ex-Premier Ministre qui n’a jamais rien vu des choses graves qui se passaient sous son autorité (Rainbow Warrior, écoutes téléphoniques illégales, sang contaminé…)

Sous la caricature, Laurent Fabius dit des choses justes. La cohérence du projet présidentiel n’est pas visible. Au contraire d’Obama, Sarkozy navigue à vue, a priori sans principes. Le pragmatisme est une vertu quand il s’adapte aux circonstances ; il s’appelle retourner sa veste quand il se plaque sur le dernier qui a parlé ou le droit du plus fort. Par exemple en politique étrangère, comme le pointe Laurent Fabius. François Fillon le confirme sur la Russie : méfiant envers le knout éternel le matin, enthousiaste sur son « ami » Poutine le soir. On l’a vu dans les premiers mois avec Khadafi.

Même constat pour les intérêts financiers et industriels. Nicolas Sarkozy n’a pas été élu pour les contrer mais pour accomplir les « changements indispensables » que 20 ans de chiraquisme avaient esquivées. Faut-il lui en tenir rigueur ? Laurent Fabius plaide pour l’illusionniste qui jongle avec les thèmes tout en pratiquant le bonneteau. Et il est vrai que nombre de réformes sont bâclées. Mais la critique sonnerait plus juste si elle émanait d’un parti qui, au pouvoir, a rarement fait ce qu’il prône. Le monde va et c’est l’intelligence même de s’y adapter. La formule démagogique des « cadeaux fiscaux » (dont la majeure partie est l’aide aux PME et l’exonération des droits de succession sous 100 000€) gagnerait à être replacée dans son contexte européen.

L’étatisme recule partout, même en Chine communiste. N’est-ce pas déjà Laurent Fabius qui a privatisé la dernière banque publique, le CIC, en 1998 ? Barack Obama n’hésite pas aujourd’hui à taxer les banques, responsables là-bas bien plus qu’ici des produits toxiques qui ont engendré la crise financière, mais il ne fait guère plus. Ne serait-il pas moins manipulateur de reconnaître le poids du monde et les pesanteurs sociologiques ? Le climat n’est ni à la nationalisation ni à l’intervention de fonctionnaires dans la gestion bancaire. La dernière fois que cela s’est produit en France – sous la gauche - on a eu le Crédit Lyonnais et le Crédit Foncier de sinistre mémoire.

Que Nicolas Sarkozy fasse de la com’, bon sang mais c’est bien sûr ! Personne ne s’en serait douté si Laurent Fabius ne défonçait cette porte grande ouverte. En ignorant savamment les psychodrames permanents des Egolène, Egollande, Egaubry, Egopeillon, ou toujours Egospin qui, rituellement tous les deux ans, effectue son éternel retour. Le reproche de Laurent Fabius est donc parfaitement vrai et, dans le même temps, délicieusement suranné, comme si le vautourage médiatique n’existait désormais pas autant que le net ou twitter.

Nicolas Sarkozy n’est pas énarque, peut-être est-ce là le reproche élitiste sous-jacent de la charge ? Il est avocat et aime les « deals ». C’est une chose qu’aucun président français n’avait essayé depuis Pompidou. N’est-ce pas mieux que de trôner en roi fainéant ou de se croire deus ex machina de toute l’industrie française ?

La présidence de la Ve République revue sous Jospin tend à personnaliser la fonction. Qu’un être soit relativement jeune et énergique, il l’occupe tout entière. D’où l’importance des contrepouvoirs. Mais voilà : contrepouvoir dit Montesquieu et Montesquieu dit « libéral ». Aucun socialiste élevé sous la mère de la souveraineté du peuple ne peut tolérer un quelconque contrepouvoir. Seul « le peuple » (représenté par son parti majoritaire, en bonne stratégie léniniste) a toujours raison. Les minoritaires ont juridiquement tort. Fabius a donc dit « non » à l’Europe, le PS « non » à la réforme du Parlement voulue au début du quinquennat. Avec une belle inconséquence, Fabius parle alors de « subordination de l’Assemblée nationale à la volonté présidentielle ». Pourquoi ne pas avoir contribué à rééquilibrer les choses ?

Si la personne compte autant, Nicolas Sarkozy montre les facettes de sa personnalité. Arriviste qui veut à tout prix se faire accepter pour cause d’enfance socialement méprisée, avocat retord ayant une grande connaissance des dossiers et adorant négocier, pénalisé par ses origines, son désir d’être aimé et reconnu faute de père, le Président tend à suivre celui qui l’impressionne le plus, grand chef d’Etat, grand patron ou grande fortune.

Certes – mais quelle personnalité ayant l’envergure de la fonction lui opposer ? La critique est facile mais la question est là. Dans le nouveau système du quinquennat présidentialo-législatif, tous les pouvoirs ont été voulus par la gauche en une seule main. Pour en profiter toute seule, bien sûr. A examiner la personnalité des prétendants PS, on frémit de la probable dérive caporal-socialiste… Peut-être Laurent Fabius s’y verrait-il bien, le problème est qu’on l’a déjà vu.

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