2 K pour un trône (partie 5). 1987. Corrida andalouse

Par Vinz

La victoire de Garri Kasparov en 1986 a mis fin à trois années de matches qui achevait le cycle 1982-1984 (et oui). Mais dès l’année suivante, le tournoi des candidats en cours devait désigner un nouveau challenger au jeune champion du monde. Il s’appelle… Anatoli Karpov. Pourtant bien des choses ont changé entre les matches trois et quatre. Le scénario et la qualité de jeu de la confrontation sévillane aussi.

L’apaisement.

Les choses semblent enfin revenir dans l’ordre. Après trois années de tension, les deux K, comme on les appelle désormais, ont atteint l’âge de raison dans leur face à face. A part l’affaire Vladimirov, qui est restée discrète, aucun incident n’a éclaboussé le match de 1986. Plus encore, l’amorce d’une réconciliation se présente : dans l’avion qui les emmena de Londres à Léningrad, Kasparov et Karpov jouent aux cartes. Karpov a-t-il initié son cadet à la belote, lui qui apprécie ce jeu ? En tout cas, les temps semblent avoir bien changé et c’est tant mieux. L’idée d’une haine feinte apparaît aussi : les deux joueurs feraient monter la tension pour faire venir les médias occidentaux, peu intéressés par le jeu mais plus par le contexte.

Mais surtout, les deux champions sont conscients du poids qu’ils peuvent représenter. Ils ont fait plier la FIDE sur l’organisation du match, par l’intermédiaire de la Fédération Russe. Ils savent aussi qu’ils ont un rôle à jouer. Quand Kasparov veut créer une organisation des grands-maîtres, il demande à Karpov de faire partie du bureau dirigeant. Ce dernier accepte.

Mais pour le moment, ces deux joueurs ont envie de faire autre chose que de s’affronter une nouvelle fois. Quelques jours après sa défaite, Karpov est aux Pays-Bas pour disputer le tournoi Interpolis à Tilburg. La fatigue du vice-champion du monde pèse à la fin du tournoi, qu’il laisse échapper en perdant contre le vainqueur Alexandre Beliavsky. Kasparov lui se repose.

L’union fait la force

Les deux hommes vont pouvoir aussi retrouver l’équipe soviétique aux Olympiades de Dubaï. Malgré l’absence de nombreux grands-maîtres occidentaux, qui protestent contre l’exclusion d’Israël, la concurrence s’annonce rude. Pourtant l’URSS avait facilement gagné en 1984 sans ses deux têtes mais parmi les rivaux, les USA, l’Angleterre, la Yougoslavie font partie des contestataires. Et les deux K n’ont pas été de trop. Ils ont été bousculés tous les deux : Karpov perd contre Ljubojevic dans le match URSS-Yougoslavie et Kasparov gaffe dans une finale nulle contre l’américain Seïrawan, coûtant la défaite contre les USA. Mais aucun de ces deux pays n’inquiète l’URSS, c’est l’Angleterre qui surgit et fait la course en tête. Pas en grande forme, Karpov n’affronte pas la perfide Albion. Kasparov gagne son match et le sommet du tournoi s’achève par un nul 2-2. Distancés aux deux tiers du parcours, les Soviétiques profitent d’un effondrement inattendu des Anglais contre l’Espagne pour recoller au score et avoir un demi-point d’avance sur les Anglais à la dernière ronde. Lors de celle-ci l’URSS affronte la Pologne et l’Angleterre le Brésil. Premier coup de semonce : les Anglais gagnent 4-0 et forcent les Soviétiques à en faire autant pour remporter la médaille d’or (en cas d’égalité, les Anglais devançaient l’URSS). Toute l’équipe soviétique a mis le paquet : Kasparov joue une ouverture inhabituelle pour lui et profite d’un errement de son adversaire pour prendre un net avantage conclu quelques heures plus tard. Karpov lui joue 1.e4 (qu’il ne fait pratiquement plus) et gagne rapidement. Et oh surprise, l’URSS gagne le match 4-0. Certains accusent les Polonais d’avoir perdu le match sciemment mais en regardant les parties, on peut y voir autant la détermination soviétique que la passivité des Polonais et aussi l’écart de niveau entre les deux formations. L’essentiel est sauf. On a pu photographier Karpov et Kasparov ensemble, unis pour remporter la victoire. L’esprit de groupe l’a emporté. Ce même esprit n’arrive pas à déstabiliser le président de la FIDE, Campomanès, qui achète les voix de sa réélection contre le candidat de Kasparov (le Brésilien Lucena), mais il permet la création de la GMA (Grand Master Association) qui entend contester les décisions de la FIDE.

Et on remet ça.

Pour finir l’année, Kasparov se rend à Bruxelles et gagne facilement un fort tournoi malgré une défaite surprenante contre l’Anglais Nigel Short. En 10 parties, il finit avec 2 points d’avance même s’il a sauvé une position perdue contre Kortchnoi qui termine deuxième.

Le début de 1987 est marqué par la finale des candidats qui se joue à Linarès en Espagne. Le vainqueur de la finale des demi-finales, Andrei Sokolov joue contre Anatoli Karpov. L’ancien champion du monde est donné largement favori. Son expérience en match est incomparable à celle de Sokolov et ce dernier a un répertoire trop limité pour surprendre Karpov. Mais la progression de Sokolov est impressionnante. Champion d’URSS inconnu en 1984, il remporte le tournoi des candidats de Montpellier, puis écrase Vaganian 6-2 et remonte un handicap de 2 points contre Youssoupov en gagnant 3 parties d’affilée, comme Karpov avait réussi contre Kasparov.

De match, il n’y en a pas eu. A part la première partie où Karpov a été un moment en difficulté, le suspens n’a absolument pas existé. Certes, c’est au bout de longues finales que le vice-champion du monde domine son adversaire mais ce n’était que la réalisation technique d’avantages bien construits. En gagnant les parties 2,6 et 10, Karpov s’était assuré d’une avance de 6,5 à 3,5. Un point et c’était la qualification. En gagnant avec les Noirs la 11ème, Karpov l’obtient sur une attaque mal préparée par Sokolov.

Comme cela a souvent été le cas avec les deux K, le vaincu n’a jamais digéré sa défaite. Sokolov est sans doute monté trop vite et trop haut, il ne reviendra plus tutoyer les sommets.

Enfin. Enfin les deux K vont disputer un tournoi ensemble et leur centième partie en plus. C’est l’événement du tournoi SWIFT de Bruxelles. Six ans que cela n’était pas arrivé. Et les deux champions ont l’intention de marquer les esprits. A ce jeu, c’est Kasparov qui le fait le mieux. Avec 8,5 points sur 11, il dépasse Karpov d’un point et demi. Mais le champion du monde doit partager la vedette avec l’inconstant Ljubojevic, et la première place aussi. Au cours de ce tournoi, les deux hommes se sont livrés une belle bataille. Karpov a un pion de plus, Kasparov renverse la tendance mais tout finit par la nulle avec une certaine logique, au 53ème coup. Quelques jours plus tard, le premier championnat du monde de blitz est largement gagné par Kasparov, qui se permet de marquer 1,5 point en deux parties contre Karpov.

Après cette victoire, Kasparov se consacre à nouveau à la préparation. Un petit match exhibition à Cologne, des simultanées à la pendule contre l’équipe de Suisse et surtout des semaines de travail. Le champion du monde s’est bien entouré. Il a un manager, Andrew Page, qui gère bien ses affaires. Il a aussi sa mère, Clara Kasparova, qui s’occupe des problèmes quotidiens de son champion de fils et qui l’accompagne en permanence dans les tournois. Elle ne connait pas beaucoup le jeu mais elle en sait plus sur les pensées de son fils que les grands-maîtres qui commentent la partie. Il faut dire que Kasparov est un vrai showman, avec ses mimiques, ses gesticulations et ses regards interloqués.

Quant à Karpov, il dispute toujours des tournois. Une victoire tranquille au mémorial Euwe d’Amsterdam en mai, puis en juin un succès non moins sans histoire à Bilbao.

Tout semblait bien s’engager lorsque paraît avant le match l’autobiographie de Kasparov rédigée par un journaliste anglais : Child of Change devient Et le fou devint roi en français. Ce livre lance la polémique, avec une certaine mauvaise foi apparemment. On peut y distinguer un Kasparov arrogant et obsédé par les complots, accusant Karpov et Campomanès d’être de mèche.Il rappelle notamment l’imbroglio qui a opposé la FIDE à la Fédération Soviétique en 1983 sur les lieux où les matches de candidats devaient se dérouler. Cette dernière avait refusé la décision de Campomanès, provoquant le forfait de Kasparov mais la médiation britannique et l’influence d’appuis de Kasparov avaient permis de trouver une solution. Pour Kasparov, cette affaire était un coup monté pour l’empêcher de disputer le championnat du monde 1984.

Comme Kasparov avait défié Karpov quelques mois plus tôt sur la confrontation des analyses de la fameuse 24ème partie du match de 1985, où l’un soutient qu’il devait gagner et l’autre le contraire. Karpov avait préféré esquiver le débat.

D’autre part, Kasparov a décidé de s’engager plus activement à soutenir Gorbatchev. Il devient dirigeant des Komsomols, les jeunesses communistes.

Le match.

Pour cette rencontre, c’est Séville qui a été choisie comme ville d’accueil. La ville prépare de la sorte l’exposition universelle de 1992 et les commémorations du cinq centenaire du voyage de Christophe Colomb. Les deux K n’étaient pas d’accord mais les organisateurs proposaient une bourse de 2,8 millions de francs suisses. Désormais un match de K se vend bien.

Mais tout n’est pas prêt. La peinture sent encore très fort au théâtre Lope de Vega pour la première partie le 10 octobre. La veille en conférence de presse, la rébellion des deux K avait pris forme : la GMA organisera à partir d’avril 1988 une Coupe du Monde, réunissant les 25 meilleurs joueurs du monde, sur 6 tournois. La foule est présente, on s’attend encore à un grand match.

Parties 1-7. Karpov impose sa loi.

Encore une fois, Karpov a les Blancs dans les parties impaires. La première reste une défense Grünfeld. Malgré un bilan franchement négatif, Kasparov n’a pas renoncé, d’autant plus qu’il a obtenu avec de bons résultats par la suite. Karpov ne va pas trop loin, Kasparov non plus. La nulle est conclue au 30ème coup.

Deuxième partie et voilà la surprise, enfin la première. Kasparov joue 1.c2-c4, la partie Anglaise, qu’il n’a jouée que très rarement. Karpov est surpris dans un premier temps : il prend quelques minutes de réflexion, dans une phase où les joueurs jouent rapidement en récitant leur partition bien apprise. Puis il s’engage dans le défi. Au neuvième coup, Kasparov pousse le pion f2 en f3. Karpov joue alors le coup e4-e3 (voir position).

2ème partie. Position après le 9ème coup blanc f2-f3. Kasparov veut éliminer le pion e4 pour disposer d'un puissant centre de pions mais Karpov le surprend par 9...e4-e3, préparé initialement contre Viktor Kortchnoi.

Ce coup déstabilise complètement Kasparov : le voilà dans le rôle de l’arroseur arrosé. Il met une heure vingt-cinq (presque le temps d’un vol Paris-Séville) avant de répondre, un record dans l’histoire des championnats du monde. Kasparov a bien répondu, il a un léger avantage mais un large retard à la pendule, car il a moins d’une heure pour ses trente coups restants. Mais Karpov le rejoint dans le manque de temps. Pis encore, un chat coincé sous l’estrade miaule, c’est un chat noir ! Mauvais jour pour Kasparov. Au 26ème coup, Kasparov joue sa Tour en e1… mais il oublie d’appuyer sur sa pendule. Karpov ne bronche pas : quand Kasparov s’en aperçoit, il a perdu 4 des 5 minutes restantes pour jouer ses 15 derniers coups. Finalement, il s’effondre et perd. Coup de tonnerre, Karpov mène 1,5 à 0,5.

Après un temps mort demandé par Kasparov, la troisième partie se joue. Karpov ne cherche pas à exploiter son avantage psychologique. Le système solide de Kasparov, déjà employé dans la première partie, ne produit rien : la nulle est conclue après 29 coups.

Pour la quatrième, on attend une réaction de Kasparov. 1.c2-c4 est-il un coup d’épée dans l’eau ou bien Kasparov a l’intention de poursuivre dans cette voie ? Ne voulant pas perdre la bataille des idées, le champion du monde pousse à nouveau le pion c2. Et la même variante que la deuxième partie se présente : le même 9ème coup blanc f2-f3. Mais Karpov ne joue pas au bluff, il prend le pion. Kasparov obtient un léger avantage avec des pions centraux dominateurs. Karpov n’arrive pas à les contenir et doit céder du matériel. C’est simple, c’est puissant et efficace. Au 41ème coup, la partie est ajournée. Karpov abandonne et prend son temps mort à son tour : 2-2 entre les deux joueurs.

Le vice-champion du monde profite de ce repos pour affuter ses armes. Contre la défense Grünfeld de Kasparov, il joue cette fois la variante principale, qu’il avait toujours évitée. Et au 12ème coup, il joue un coup totalement oublié qui va populariser la variante de Séville.

Kasparov réfléchit longtemps après cette nouvelle surprise. Mais il réplique bien, son jeu est actif, il a un pion de moins mais beaucoup de jeu. Mais le temps lui manque encore. Dans une position équilibrée, avec une minute à jouer, Kasparov craque et gaffe. Au 38ème coup, il abandonne car il perd une tour. Karpov a repris les commandes : 3-2.

Position après le 35ème coup blanc. La menace de mat en g4 a permis aux Noirs de maintenir l'équilibre. Avec quelques secondes à jouer, le champion du monde panique et joue De6-d7. Après De2xa6, il joue Tc1-a1 (jouable à la place de Dd7). Ce faisant, il a oublié qu'après Da6xg6+ la Dame blanche défend g4 et attaque le Roi Noir, ce qui permet de gagner au minimum la Tour. Kasparov n'a plus qu'à abandonner de dépit.

Le public se régale : 5 parties et déjà trois de gagnées. Et les rôles se sont inversés. Kasparov est innovateur dans les ouvertures mais c’est Karpov qui le domine et fait le jeu. Le champion du monde ne paraît pas en grande forme. La sixième partie se passe sans histoire. Kasparov n’obtient rien et la nulle est conclue au 28ème coup.

Dans la septième partie, les deux joueurs reprennent le débat de la cinquième. Kasparov a amélioré un peu le jeu des Noirs. Karpov rend son pion de plus pour avoir du jeu et il met le champion sous pression. Ce dernier doit sacrifier la qualité pour éviter la défaite. Bien lui en prend, sa défense est parfaite après l’ajournement. La nulle est conclue au 79ème coup. Pour la première fois dans ce match, Kasparov ne craque pas sous les assauts adverses. Serait-il rentré dans ce match ?

Parties 8-11. Kasparov renverse la vapeur.

La huitième partie ne semble pas augurer d’un combat spectaculaire. La quatrième anglaise du match est comme les trois précédentes (et typiques de cette ouverture) : une guerre de tranchées. Dans cet exercice, Karpov est à l’aise mais ce jour-là, c’est Kasparov qui donne la leçon. Au 20ème coup, il prend l’avantage puis au moment de l’interruption de la partie, il joue un coup de maître : il pousse son pion f2 en f4 au moment où il devait mettre son coup sous enveloppe. Ce coup est fort en lui-même mais joué à temps. Karpov doit se débrouiller seul pour trouver une bonne réponse. Le lendemain la partie est reprise : Karpov semble confiance mais 8 coups après il abandonne. Kasparov a égalisé à 4-4 et battu Karpov à son propre jeu ou presque.

Un match c’est un débat d’idées, une confrontation. La neuvième reprend la septième partie et la physionomie est la même. Kasparov défend bien, donne même un pion en finale pour forcer la nulle. Il s’avère un bon défenseur quand il n’est pas surpris. Au 70ème coup, le partage du point est scellé.

Dixième partie. Kasparov abandonne c2-c4 pour 1.e2-e4. Karpov répond par sa nouvelle défense favorite, qu’il avait employée pour la première fois contre Sokolov, la défense Caro-Kann (1.e4 c6). Kasparov joue une variante trop molle et la nulle est conclue au 20ème coup.

La onzième partie rappelle la onzième du match de 1985 dans son scénario. Encore une fois la variante de Séville. Kasparov a un peu dévié et il a une position légèrement inférieure : un pion de moins et pas trop de jeu. Mais Karpov peine dans la marche à suivre et voilà la position qui se présente. Karpov joue Tf6-c6 et la suite en vidéo… sur la musique de Vangelis.

Position après le 34ème coup blanc. Karpov a un léger avantage mais il semble tatonner pour exploiter la force du pion d5. Il décide d'infiltrer sa tour en c6. Kasparov n'en croit pas ses yeux et joue Cc4-a5 qui gagne la qualité. En effet, si la Tour s'en va, les Noirs gagnent le Fou c5 (ce qui est encore pire pour les Blancs). Karpov n'a plus qu'à jouer Fc5xb6 et à abandonner le lendemain et une quinzaine de coups plus tard

Kasparov n’en revient pas ! Karpov n’a pas vu qu’il perdait une qualité. Tellement incroyable que Kasparov en sourit même. Une attitude étonnante, amusante aussi mais autant que le nouveau cadeau offert par son adversaire. Karpov, lui,  est incrédule. Dépassé, il reprend la partie le lendemain mais abandonne assez vite. Sans bien jouer, Kasparov a pris l’avantage 6-5 pour la première fois du match.

Parties 12-16. Le lion s’endort.

Douzième partie. Kasparov joue c2-c4 mais Karpov en a assez de l’Anglaise pour le moment et joue e7-e6. La partie rebondit dans un Gambit Dame classique pour les deux joueurs. Kasparov tente d’insuffler de l’énergie en jouant g2-g4. Mais cela ne mène à rien. Les deux joueurs concluent la nulle au 21ème coup. Cela fait deux parties de suite que Kasparov se contente de nulles rapides. Il déclare dans une interview que c’est désormais à Karpov de faire le jeu. Logique mais décevant au regard du champion charismatique qu’il est.

13ème partie jouée un vendredi 13 novembre pour quelqu’un né un 13 avril. Kasparov, 13ème champion du monde, aime ça. Une autre Grünfeld échangiste mais Karpov reprend un système développé par son adversaire. Kasparov répond bien et crée lui-même une légère pression que Karpov annihile en échangeant quelques pièces. La partie est nulle au 36ème coup.

14ème partie. Une nouvelle Caro-Kann aussi insipide que la précédente : nulle au 21ème coup. Kasparov ne trouve plus la faille et se contente de dormir un peu. L’Ogre de Bakou, le Monstre aux Mille Yeux qui voit tout gère le match.

15ème partie. Karpov dribble ses schémas d’ouvertures et la partie reprend celle de la 19ème du match précédent. Karpov dévie le premier, craignant une préparation adverse. Mais c’est le champion du monde qui semble mieux. Craignant que sa position se dégrade, Karpov sacrifie la qualité, inutilement. Kasparov se trompe dans la reprise de la tour sacrifiée et Karpov trouve ainsi des chances qui lui permettent d’annuler. La partie se dirige vers une nulle au 43ème coup. Si personne n’a gagné, la partie a donné quelques sueurs à Karpov mais a montré aussi que les deux joueurs sont fébriles.

Karpov est heureux de s’en sortir avec les Noirs. Kasparov rejoue une Anglaise et Karpov accepte la variante du début du match, changeant assez vite. Il s’avère que le jeu de Kasparov est assez bancal. Il doit jouer précis pour conserver l’équilibre à cause d’une mauvaise structure de pions. Et Karpov active ses pièces. Après un 24ème coup blanc douteux, la partie entre dans une phase tactique où le challenger, une fois n’est pas coutume, se révèle supérieur à son adversaire qui manque encore de temps. Avec un pion de moins et une position inférieure, Kasparov abandonne au 41ème coup sans reprendre la partie ajournée. L’égalité est rétablie 8-8.

Parties 17-22. Rien rien de rien !

Le dernier tiers du match commence et la tension monte d’un cran. On sent bien que Kasparov n’est pas au meilleur de sa forme et qu’il se contente de tenir. Karpov, lui, a le sentiment bien réel qu’il peut reprendre son titre. Le niveau du match est inférieur aux deux précédents mais le suspens reste entier.

17ème partie. Kasparov abandonne sa Grünfeld pour la voisine défense Est-Indienne, qu’il se remet à jouer. Karpov obtient une pression mais le champion du monde arrive à la contenir. Son jeu précis lui procure la nullité au 43ème coup.

18ème partie. Les deux joueurs ressortent une ouverture qu’ils ont pratiquée au cours des deux premiers matches : la variante Tartakover du Gambit de la Dame. Le jeu prend une tournure très technique. Mais il semble bien possible que Karpov ait commis une erreur et que Kasparov n’en ait pas profité. La bonne défense du challenger aboutit au match nul après 40 coups.

Et la 19ème partie reprend la précédente avec les couleurs inversées ! Kasparov tient bien la route avec les Noirs. Karpov insiste dans une finale de tours qui s’achève par la nulle au 62ème coup.

20ème partie. Le Gambit Dame est encore de sortie et Kasparov joue une variante peu usitée. Karpov n’en est pas bousculé pour autant. Les Blancs ont un très léger avantage qui se réduit coup après coup. Au 37ème, la nulle est signée.

21ème partie. Kasparov rejoue la Grünfeld et la 15ème partie est reprise. Karpov joue autre chose au 14ème coup mais le champion du monde joue dynamique et obtient un bon jeu. Karpov sacrifie la qualité en d3 (comme dans la 15ème) mais c’est correct et Kasparov n’a d’autre choix raisonnable que d’accepter la répétition des coups au 28ème de la partie.

22ème partie. Un Gambit Dame. Kasparov varie mais ses schémas ne donnent pas d’avantage. Il ne veut pas insister inutilement et la partie s’arrête après 19 coups. La prudence est de mise. Le champion du monde semble jouer le match nul.

Fin tragique.

Le 16 décembre 1987, Karpov joue quasiment sa dernière carte. C’est l’ultime fois où il a les Blancs. Pour redevenir champion du monde, il doit gagner avec cette couleur ou alors devoir réaliser l’exploit avec les Noirs. La partie commence sur le mode compliqué. La structure de pions est favorable aux Blancs mais Kasparov joue encore une fois activement pour équilibrer les chances. Pourtant, il commet 2-3 imprécisions qui donnent l’avantage à Karpov. Mais ce dernier n’en profite pas bien qu’il conserve un petit plus. Et ensuite, Kasparov craque totalement en zeitnot : il imagine un sacrifice de tour totalement faux qui se heurte à Fh6 qui réfute l’ensemble. La vidéo témoigne du reste.

Au 51ème coup de la partie, Kasparov joue Tf7-f3, imaginant un sacrifice de Tour qui lui assurerait au moins la nulle. Mais après g2xf3 Tf1xf3, Karpov défend brillamment et réfute la gaffe de son adversaire.

Karpov a réussi son coup : il mène 12-11 après sa quatrième victoire. Une nulle suffit pour devenir le troisième joueur à redevenir champion du monde.

24ème partie. 18 décembre 1987. Kasparov doit gagner pour conserver son titre. C’est le schéma de 1985 à l’envers. Pas en forme, mal rasé, le champion du monde aborde la partie fatigué. Mais fidèle à ses principes, il joue c2-c4. Karpov est logiquement prudent. La suite dans la vidéo insipide, accompagnée d’une vidéo de la télé espagnole.

http://www.dailymotion.com/videoxbvfc3

Kasparov a réussi ce que Karpov avait échoué à faire deux ans plus tôt, il n’y aura pas de coup d’état. Le sourire d’Anatoli (et de sa future deuxième épouse) se fige. Le champion du monde a échappé à la guillotine mais il s’est encore révélé décisif. Pour la troisième fois en quatre matches, il gagne la dernière partie. Et de tous les mots, de tous les coups joués, c’est encore Kasparov qui a eu le dernier. Désormais, le rythme des championnats du monde devenait à nouveau normal : le prochain match était prévu pour l’automne 1990.

A suivre…