Le jour d'avant, de Loic Prigent

Pour ceux qui s'intéressent à la mode, Arte diffuse ce mois-ci une série de documentaires à ne pas manquer. Intitulée Le jour d'avant, elle plonge le spectateur dans les derniers jours précédant les défilés de Fendi, Jean-Paul Gaultier, Proenza Schouler et Sonia Rykiel. A la réalisation, Loïc Prigent, grand habitué des confessions de directeurs artistiques avec ses films Signé Chanel et Marc Jacobs & Louis Vuitton.

Pour ce premier opus diffusé jeudi dernier, Loic Prigent s'intéresse aux derniers préparatifs du défilé Fendi Automne-Hiver 2009 (filmé donc en mars 2009): fittings des looks, finalisation à l'atelier des dernières pièces, et le marathon final vers le défilé. C'est l'occasion pour lui de retrouver Karl Lagerfeld, qu'il avait cotoyé auparavant pour Signé Chanel.

On en apprend ainsi plus sur Karl, directeur artistique depuis 1995 et, ce que je ne savais pas, créateur de la signature 2F pour Fourrures Folles, signature qui orne désormais tous les sacs logo de la marque. On le voit entouré de ses jeunes éphèbes -Vous connaissez la méthode de Catherine de Medicis, un bataillon de beauté, un mur comme ça, elle avait de jeunes filles, moi de jeunes gens et moi derrière, pépère. (attention de ne pas mal interpréter la dernière partie de cette phrase quelque peu ambigüe...), avec Amanda Harlech, sa muse, dont la principale fonction est d'apporter un peu de folie à la marque, à donner des conseils aux mannequins -Ne tombez pas, c'est vide au milieu, ou devant les journalistes à faire le dispensaire d'explications sur le défilé - C'est un jeu de géométrie flexible dans un contexte de forêt mystérieuse près de la terre, il y a un peu la frayeur du romantisme nordique la nuit dans la forêt, il y a un peu mystère comme ça (hum hum...), ou de donner en conclusion sa vision du succès dans la mode - La mode est le métier par excellence de l'injustice. C'est pas parce que vous avez envie de faire cela que cela va marcher. Cela marche pour d'autres raisons inexplicables. C'est d'une injustice totale, ça c'est comme ça.

Lorsque que Karl dit Je suis un des rares qui fait tout en dessin, grâce à dieu, je sais faire ça. Il n'exagère pas. Bon nombre de directeurs artistiques ne font plus de dessins eux-mêmes, se limitant à un rôle de chef d'orchestre plus que de créateur. Karl Lagerfeld fait partie de la vieille école, il continue à tout dessiner lui-même. Il avoue avoir fait son premier défilé en 1958. Lorsque Loic Prigent lui demande Et demain, c'est le combientième..., il répond On ne peut plus compter.

Il parait aussi désinvolte, arrivant au défilé, après l'arrivée des invités, alors que le chaos règne backstage. Une désinvolture qu'il applique à lui-même: lorsqu'on lui parle du stress, il répond Je n'ai pas d'états d'âme, j'ai une mentalité de tueur professionnel. Des fois, on rate le client, mais pas d'émotion. Je n'ai pas d'émotions pour ce genre de choses, d'ailleurs pour le reste non plus.

Silvia Fendi, elle, apparait toujours en retrait, silencieuse très souvent... Créatrice de la fameuse Baguette de Fendi, elle a pourtant fait le plus gros coup de l'histoire du luxe depuis l'invention de l'or. Malgré cela, elle hésite à aller saluer à la fin du défilé, n'y allant que sous la pression de Karl. Elle avoue ne pas avoir beaucoup d'amis et ne pas aimer sortir. Karl est la star, pas elle... Pourtant elle s'avoue un soft spot I'm very tough, but sometimes I can be very sweet, when I want. (avis aux amateurs !).
On partage aussi la vie des mannequins, qui malgré leurs 53kg pour 1m80, semblent être nourries convenablement. Elles courent de défilé en défilé, arrivant même pas démaquillées du défilé Dolce&Gabbana, au grand dam de la directrice de casting, et jubilent en recevant l'adoubement du grand Karl, une validation qui peut faire ou défaire une carrière.

Et surtout, le défilé rend hommage au travail admirable des petites mains de la maison: chef d'atelier, couturière, maître foureur... Elles travaillent d'arrache pied jusqu'aux dernières minutes précédant le défilé, finissant les robes dans le train les amenant de Rome à Milan. C'est par leur savoir-faire et leur dévouement que le défilé se réalise enfin !

Pour une personne travaillant dans la mode et connaissant l'effervescence des défilés, je trouve que ce documentaire retranscrit très bien leur ambiance. Même si tout le monde travaille sur le défilé pendant plusieurs mois, c'est vraiment les derniers jours que tout se réalise. On est souvent étonné de voir a posteriori tout ce qui a été fait en si peu de temps. Il n'est ainsi pas rare que de nouvelles pièces soient ajoutées au dernier moment et de nouvelles retouches terminées une minute avant que le mannequin monte sur le podium.
Loic Prigent réussit ainsi à retranscrire avec rythme et humour le jour d'avant. Une belle série à découvrir les jeudis soir en 2e partie de soirée sur Arte.

Le jour d'avant Fendi est disponible sur Arte+7, la catch-up TV d'Arte. Pour ceux qui rateraient le coche, l'épisode a également été découpé en 6 mini-spots de 10 minutes sur Youtube.
Jean-Paul Gaultier sera diffusé le 21 janvier à 22h20, Proenza Schouler (à ne pas manquer !!!) le 28 janvier à 22h, et Sonia Rikyel le 4 février à 22h20. Ce dernier épisode est sans doute également à ne pas rater, car ce défilé était celui des 40 ans de Sonia Rykiel, un défilé magnifique et fou à l'image de sa créatrice.
Il faut dire les choses les plus impossibles, les plus inadmissibles, c'est ça qui est drôle !
Karl Lagerfeld