... je suis dans l'impasse, mon boulot, mieux vaut pas en parler, j'en ai un, bien sûr, en ces temps merdiques où avoir du travail est mieux que si l'on gagnait au loto. Alors, je la ferme, je vais au bureau comme si j'allais au malheur, mais qu'est-ce que c'est que travailler ? Quel sens, quelle valeur donner au travail ? Qu'est-ce que je fais en vérité ? Mon mariage est un échec. J'ai l'impression d'être un parquet flottant, collé, assemblé. Je suis un con avec mon cerveau à la con, mon coeur à la con, à me faire chier, à faire chier tout le monde, ma femme, mes amis...
Dans la rue j'entends un jour une musique. Une drôle de musique. Elle sonne faux, mais il y a en elle une telle émotion que je la cherche, je remonte lentement jusqu'à elle comme un chien de chasse remonterait une piste.
Elle vient d'un square cette musique. Dans ce square il y a une statue de Ludwig van B. Assis sous cette statue un homme joue d'un violon qui n'a plus que deux cordes. Un SDF. Il y a un caddie devant lui. Un extraordinaire caddie remplit de tout un bordel hétéroclite. Il y a même un palmier, des sacs de plastique, des cartons, un chapeau, une poupée. Un foutoir indescriptible. C'est lui. Il me dira son nom, je lui dirais le mien. C'est Nathaniel Ayers qui bouleversera ma vie. Définitivement.
Nathaniel me dira un jour qu'il ne peut jouer du violoncelle que je lui ai procuré, en remplacement de son pauvre violon, que sous les ponts, que dans la rue. La rue vit, elle vibre, elle gronde, elle remue, elle transporte des paquets de gens. Au-dessus de lui, Nathaniel, et de son violoncelle, des avions passent. Il joue pour les pigeons qui applaudissent en claquant des ailes lors de leurs envols.
La musique ne supporte pas de murs me dira-t-il encore un jour. Il faut jouer dehors pour saisir la vie, pour jouer avec elle, pour saisir aussi les gens au coeur. Les gens attendent la musique dans les squares, dans les squats, sous les ponts, dans les rues, dans les locaux des soupes populaires. Ils n'attendent que ça. Ils ont une capacité infinie d'attente et d'émotion les gens. Je veux jouer où est la vie sinon mon violoncelle jouera faux... Il parlait comme ça Nathaniel.
Je veux écrire son histoire, ça va faire un super papier. Puis je me rends compte que je veux l'aider. Je veux aider cet ange de lumière tombé dans le caniveau. Je veux lui sauver la vie. Je n'ai rien compris. Je suis sacrément bouché. C'est lui qui sauvera la mienne en me la rendant. En me l'offrant sur un plateau. Aveugle, je n'avais rien vu jusqu'à lors. La musique, la toute humanité de ce SDF, la grâce qui l'habite. La grâce.
Voilà ce que je voulais vous dire ce soir. Bon Dieu, 1 heure du mat, je n'ai rien vu du temps. J'étais rentré du ciné vers 22 heures, tout à l'heure. Mais ces heures-là ne m'épuisent pas. Du bonheur ! Maintenant vous n'avez qu'une chose à faire. Allez voir "Le Soliste", il changera vôtre vie. Il l'illuminera.