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Par quel miracle un livre peut-il être si léger en taille et si dense en émotions et en sens ? Kim Thuy raconte dans une succession de très courts chapitres, son arrivée au Québec avec ses parents, après avoir fui le Vietnam, forcés d’abandonner leur magnifique maison dans un des quartiers les plus chics de Saigon. On devine l’horreur du camp de transit en Malaisie, l’humiliation des parents, les sacrifices consentis pour arriver à bon port ; quelques scènes et quelques mots crus suffisent. La romancière ne s’étend jamais, elle met aussi en parallèle sa vie de femme — une Québecquoise ayant réussi et parfaitement intégré la culture nord-américaine —, mariée et mère de plusieurs enfants, dont un autiste qu’elle considère comme un don. Sa manière d’écrire, de faire vivre des êtres avec une telle économie de mots est incroyable. Les phrases de Kim Thuy font l'effet d'un pinceau de soie qui dépose sa couleur noire sur un parchemin. Une estampe délicate à offrir à tous les poètes et les amoureux de la langue française.
De passage à Paris, Kim Thuy a accepté de nous parler de sa robe, de littérature et de son premier livre, entre un verre de vin rouge, une assiette de fromages et de rillettes. Par moins 2 degrés dehors, il faut bien se réchauffer. Ses réponses sont ponctuées à chaque fois de grands éclats de rire... pour le moment, Madame Thuy n'a certainement pas encore attrapé la grosse tête. Croyez-moi : sa bonne humeur est contagieuse!
Vous dites que le français est la langue de l’amour…
Quand nous avons quitté le Vietnam avec ma famille, j’étais encore enfant, il m’a fallu apprendre une autre langue, ce fut le français. J’ai fait toute mon éducation dans cette langue qui a marqué mon adolescence, même en-dehors de l'école. J’ai appris à « aimer » en français, la littérature certes, et surtout les hommes ! (rire). Ensuite, j’ai appris l’anglais et l’ai davantage utilisé dans ma vie professionnelle.
Pourtant, je sais que vous aimez particulièrement la littérature américaine !
J’ai découvert quelques auteurs fétiches comme Tim O’ Brien notamment, The things they carried, finaliste du Prix Pulitzer et du National Book Award (il a reçu aussi sous le titre À propos du courage paru chez Plon, le Prix du meilleur livre étranger en France en 1993, NDLR). Sans ce livre-là, je pense que je n’aurais pas pu vraiment me mettre à écrire !
Vous avez été traductrice, avocate, vous avez eu un restaurant… Quel a été le déclic de l’écriture ?
C’est la crise de la quarantaine ! Cela faisait longtemps que je voulais écrire et à 40 ans, je me suis dit qu’il était temps ! Je venais de fermer mon restaurant et je cherchais à reprendre une autre activité, mais mon mari m’a dit : attends, refuse les propositions et prends un mois pour réfléchir à ce que tu veux réellement au fond de toi ! J’ai toujours voulu depuis l’âge de 15 ans, c’est le plus vieux rêve que j’ai.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce premier livre ?
Je pense qu’il a été écrit pendant quinze ans, peut-être vingt, dans ma tête, il a mûri. Sur le papier, il m’a demandé une année environ. Pendant mes années d’avocate, j’écrivais surtout des contrats, grâce à cela, je suis capable de taper très rapidement sur mon clavier ! (éclat de rire).
Dans ce livre, vous racontez par touches votre arrivée au Québec, votre immersion dans la société canadienne et nord-américaine, puis votre vie de femme par bribes. C’est un patchwork, pas un récit linéaire. Est-ce une catharsis ?
Non, il y avait même une paix et une joie dans l’écriture de ce livre. Je n’ai pas fait une thérapie à travers lui, je m’étais déjà débarrassée de tout bien avant. C’est d’abord l’amour de la langue qui m’a guidée, le plaisir de faire sonner les mots, l’histoire est venue pour les supporter. Pour moi la forme et le fond son liés. Pourquoi ai-je parlé de cette partie-là de ma vie ? Je l’ai fait un peu pour mon fils, un peu pour moi. Mon fils de huit ans est autiste, mais il savait comme tous les autres membres de ma famille que j’aime écrire. Ils ont toujours respecté cet espace temps qui est mon temps de divertissement, comme si j’allais faire du sport.
Vous avez une pièce à vous, un bureau pour écrire chez vous ?
J’écris entre les bottes des enfants et les chaudrons… je m’installe toujours sur un bout de table, sous une verrière, car on y a une vue magnifique sur le jardin et la forêt derrière, même si c’est très inconfortable car l’été il fait chaud et l’hiver très froid.
Vos parents ont-il lu RU, comment ont-ils réagi ?
Dans ma famille, on n’est pas très expressifs là-dessus (le départ du Vietnam), donc ils ne m’ont pas directement dit ce qu’ils en pensaient. Quand j’ai eu terminé, ils m’ont demandé : « Maintenant, tu peux retourner au bureau ? ». Pour eux, l’écriture n’est pas un vrai travail au sens du métier d'avocat. Maintenant que j’ai été publiée, je me sens un peu moins coupable de ne pas contribuer aux revenus de la famille, de rester à la maison la journée ! J’ai du mal à dire que c’est un travail moi aussi, car c’est un plaisir.
Une dernière petite question, futile cette fois : vous portez une robe fabuleuse et très originale, de qui est-elle ?
Ah, cela me fait plaisir, elle est signée Denis Gagnant !! Marquez-le sur votre blog, c’est un styliste québecquois génial !
Ru de Kim Thuy, Liana Levi, 143 p., 14 euros.