Ce que Ségolène veut, Ségolène a ! Le feuilleton du bras de fer entre la présidente-candidate de Poitou-Charentes et François Bayrou, entamé lors du congrès du MoDem, a pris fin en faveur de Royal : le MoDem pictocharentais rejoindra bien sa liste, contre l’avis de la direction nationale centriste. Aussitôt la machine à claques s’est mise en marche, avec une accusation de « débauchage » de la part de Marielle de Sarnez. Débauchages, transferts, OPA plus ou moins amicales, la politique française a des airs de mercato un peu sauvage ces derniers mois ; après le passage à l’ennemi le plus spectaculaire, qui fait presque office de mythe fondateur – celui d’Eric Besson pendant la présidentielle – après la fuite d’une grande partie des « bédouins » de François Bayrou pour former le Nouveau Centre et grappiller quelques miettes du pouvoir sarkozyste, c’est toute la gauche qui s’agite par saccades, au rythme des changements d’étiquette de ses cadres, élus, et candidats. Parfois cela prend la forme classique et respectée de la « scission », comme pour Jean-Luc Mélenchon quittant le PS pour tenter une nouvelle alliance électorale avec PCF et NPA, ou pour Robert Hue se séparant, en sens inverse, du PCF pour rejoindre une alliance autour du PS. L’un et l’autre ont expliqué les raisons idéologiques, compréhensibles, de leur rupture. Mais dans d’autres cas, tel que celui des centristes du Poitou-Charentes, le spectateur a la désagréable impression d’un jeu purement politicien, qui vient conforter le sentiment du « tous pourris, tous pareils, tous à la recherche d’un poste, à n’importe quel prix ». Stéphane Gatignon, du PCF à Europe Ecologie ; Eric Loiselet, du PS à Europe Ecologie, suivi par des conseillers régionaux sortants d’Ile de France ; Hélène Blanchard, des Verts au PS ; et enfin le Poitou Charentes, qui entre deux importations du PCF, des Verts et maintenant la dissidence du MoDem local, finit par ressembler à la page « transferts » de France Football. On pourrait continuer cette liste – et sans doute oublie-t-on au passage quelques anonymes. Évidemment, le fait que tous ces mouvements aient lieu juste au moment des élections n’arrange rien à cette impression désagréable d’élus ou candidats mercenaires, à la recherche du parti le plus offrant, quitte à maquiller ensuite leur stratégie par des considérations idéologiques.
Dans ce scénario il y aurait toujours deux méchants et une gentille victime. Les méchants : le « club » recruteur d’abord, accusé de rompre avec l’éthique politique minimale en allant agiter des places juteuses sous le nez de candidats fragilisés dans leur propre parti. Ségolène Royal, Cécile Duflot et autres seraient donc des équivalents politiques de Jean-Michel Aulas, cherchant au mieux à subtiliser les stars de leur adversaire, au pire à simplement le déstabiliser en interne. Deuxième méchant : les transfuges, des enfants gâtés sans honneur ni parole, déclarant un jour se battre à vie pour « l’amour du (même) maillot », pour refaire le lendemain la même promesse dans leur nouveau club ! Seule explication possible, selon cette interprétation : l’ambition personnelle. Reste donc la pauvre victime, le parti quitté, trahi dans sa droiture idéologique. Qui peut pleurer quelques larmes de crocodile au passage, oubliant au passage qu’il a pu procéder de même peu de temps avant, dans un beau mouvement d’arroseur arrosé (dans le cas du MoDem, on se rappellera entre autres comment Yann Wehrling et Jean-Luc Bennahmias y sont arrivés, et en partant d’où).
Pourtant, l’explication psychologique, par les ambitions débridées du transfuge, a toujours quelque chose de facile et surtout d’un peu court. Elle n’explique pas pourquoi ce phénomène prend cette ampleur maintenant – sauf à croire que l’ambition moyenne des élus et candidats a soudainement monté d’un cran. Il ne suffit pas non plus de dire que « maintenant, les partis osent tenter le débauchage », car cela n’explique pas le fait que ces débauchages fonctionnent si bien. Si un brusque changement de la nature humaine n’est pas en cause, si un changement stratégique de la part des partis débaucheurs n’élucide pas tout, peut-être faut-il regarder du côté des … victimes (ou supposées telles) : les partis quittés par les transfuges.
Il est intéressant d’écouter ce que disent ces transfuges. Leur diagnostic est souvent convergent sur leur ancien parti. Une idéologie absente, une ligne politique flageolante, un péché d’individualisme dont l’exemple est donné au sommet, et surtout l’absence d’une perspective globale claire, sans laquelle la solidarité interne à un parti ne peut exister. Pour avoir le courage de refuser une place offerte par la concurrence, ou inversement pour accepter de passer son tour, encore faut-il avoir le sentiment de participer à un projet d’ensemble, qui à la fois justifie des sacrifices, et laisse espérer que l’on aura soi-même des opportunités personnelles à l’avenir. Suer sang et eau dans les tréfonds de la ixième division pour participer à la lente construction d’un club d’avenir, passe encore ; mais cirer le banc dans un parti aussi stable que le PSG des années 2000 …
Le MoDem est un parfait exemple de cela. Né de l’espoir suscité par une candidature – celle de François Bayrou – et un projet – le dépassement des clivages partisans, la constitution d’une République des talents, gouvernée de façon modérée – il n’a ensuite cessé de décevoir ces promesses. Les témoignages d’insiders abondent pour se plaindre du manque de démocratie interne, de l’égocentrisme de son président, de l’insuffisante clarté de la ligne politique (ni droite ni gauche ? alliance à gauche ? antisarkozysme exclusif ?). Du mouvement rénovateur qu’il aspirait à être en 2007, le MoDem a visiblement glissé vers une sorte de mini-UMP centriste, machine présidentielle ayant du mal à exister entre deux élections … présidentielles. On peut alors comprendre pourquoi des cadres locaux, raisonnant à court (voire moyen) terme, préfèrent assurer leurs positions en se ralliant à celle qui de toute évidence l’emportera largement dans l’élection du jour – Ségolène Royal – plutôt que de « lâcher la proie pour l’ombre » et laisser les trains passer en attendant un hypothétique grand soir du bayrouisme. En somme, plutôt jouer la ligue des champions avec le Barça qu’attendre que l’OM retrouve enfin la couronne de champion de France …
Je parle ici du MoDem, mais le même constat pourrait être étendu, toutes choses égales par ailleurs, à la plupart des partis de gauche. Si on ajoute à cela le fait que ce mercato s’organise principalement au sein du même camp politique – la gauche et les « progressistes », donc – et que les transgressions droite/gauche restent l’exception plutôt que la norme, je pense que cela prouve très simplement que le paysage actuel des partis politiques de gauche ne correspond plus à la réalité des clivages politiques concrets, que tout le monde le sait implicitement, et que ce nomadisme des cadres politiques (et peut-être des électeurs, entre Europe Ecologie et le PS notamment) continuera tant qu’une réorganisation globale de ce camp n’aura pas eu lieu. Qui peut croire que des subdivisions politiques nées aux XXème, voire au XIXème siècle, sont pleinement pertinentes aujourd’hui encore ? L’approche de l’échéance électorale des régionales accroît les intérêts boutiquiers et pousse chaque parti, de façon bien compréhensible, à jouer le jeu de la différenciation et parfois à inventer des clivages qui n’existent pas. Mais dès le lendemain du vote, un grand aggiornamento devra être mis en oeuvre de toute urgence, si les forces de progrès veulent avoir un espoir de constituer une alternative gagnante en 2012. A défaut, elles pourront continuer longtemps à s’entre-voler leurs candidats, sans plus réussir à triompher aux élections nationales que les clubs de football français à s’imposer à l’échelle européenne.
Romain Pigenel