"Nemchou", on y va ! L'appareil photo à la main je courrais vers le 4X4, la nuit allait tomber, je voulais finir ma
série de reportage photo. L'aventure saharienne avait commencé le
mois précédent, en avril 2007. Un groupe de douze personnes sous la houlette de la novice que j'étais et qui faisait ses premiers pas au désert. Un groupe d'artistes dans lequel mon fils de 18
ans s'était fondu, il y avait fêté son anniversaire sous la tente nomade avec un gros gateau à la crème offert par le patron du campement.
Un gateau arrivé en 4X4 au beau milieu du désert, juste après la tempête et qu'un patissier de la ville de Douz, 80 km au nord, avait le matin même joliement décoré pour notre petit bédouin.
C'était la fête après la tempête ! 3 jours durant le vent de sable et la pluie et l'orage et le froid s'étaient acharnés sur notre stage yoga-créativité. Les cours d'aquarelle avaient rapidement tournés à la catastrophe
et pendant les séances de yoga nous écoutions goutter la pluie sur les matelas saturés d'eau...Mais qu'importe, chaque participant savait qu'il vivait là quelque chose d'unique qu'il n'oublierait
jamais plus et cela donnait à notre groupe une solidarité de camp retranché.
Le quatrième jour, un soleil d'or sur fond de dune orange nous avait surpris au réveil comme une grâce que l'on attendait plus et nous sommes partis en méharée le long du cordon dunaire de
Djibil, drapés dans nos burnous comme des rois-mages.Le lendemain l'alchimie du groupe arrivait à son apogée et les rires secouaient les poitrines au point de ne plus permettre aucune activité à
part se rouler par terre. L'après-midi, je proposais à chacun de se séparer pour vivre SON désert dans son espace de dune.
Le sable encore en suspension dans l'espace retenait une sorte d'aura lumineuse qui se confondait avec la dune. J'ai connu à cet instant ce que certains nomment "l'ivresse du désert", et je me
suis mise à marcher loin loin, comme si ma vie en dépendait, avec une motivation de lâcher-prise absolu...horizon de dunes à l'infini, ciel jaune et sable jaune et le silence épais...juste le
bruit de mon coeur battant aux oreilles...
Puis je me suis assise sur le sable...et soudain je n'ai plus existé.
C'est presque inexplicable. Mais vraiment, je n'ai plus existé. Le sens même que je donnais à ma présence, à ma vie, à mon moi, à mon corps...tout a disparu, tout s'est fondu avec le sable. Entre
le ciel et la dune, il n'y avait plus rien !
Cela a été la première expérience inattendue et fusionnelle que j'ai connue grâce au désert. Il y en eut d'autres plus tard, avec le ciel nocturne, les étoiles, le silence, la peur,
l'abandon...Mais cette première fusion a décidé de ma vie.
Je suis rentrée en pleurant, les idées en vrac. J'ai lavé mon linge, refait ma valise et repris un billet....Et je suis revenue sur mes pas, seule, pour réfléchir sur ma vie.
De cette immense fragilité qui jaillit de nos blessures profondes, de nos failles, dans ces moments charnières où la
vie côtoie la mort, nous pouvons mesurer toute l'intensité de la création qui murmure dans chacune de nos cellules. Le désert fut ma plus belle initiation et vint concrétiser de manière radicale
cet appel vers la liberté et le dépouillement qui jonchait immobile sous la couche des apparences.
Ceux et celles qui ont lu et apprécié le livre de Pinkola Estès "Femmes qui courent avec les loups", sauront de quoi
je parle. En m'engageant sur ce chemin j'ai arraché les pages de ma vie et les ai offertes au vent.
Désormais mon quotidien est fait de sable et de lumière, je fais partager cette expérience le temps de quelques jours
à ceux qui croisent ma route, le temps d'une pause dans leur vie bouleversée car je ne connais pas de meilleur remède pour faire le deuil de nos blessures que la douceur immense et poignante du
désert.