Cela fait plusieurs mois que je cherche à construire ce projet : Monter un petit cheptel de
dromadaires dans mon village troglodyte. Au début je pensais juste acheter un jeune chamelon et apprendre à le dresser. Mais rapidement, le projet a pris forme dans ma tête et je dois acheter des
chamelles pleines pour avoir des petits cet hiver et quelques dromadaires mâles pour travailler. Des deux côtés de la méditerranée ce projet paraît insolite pour une femme, occidentale de
surcroît et en général mes interlocuteurs éclatent de rire. En fait il n'y a que mes proches qui me connaissent vraiment et qui comprennent que je vais aller jusqu'au bout.
Jusqu'au bout c'est à dire apprendre à les soigner, les dresser, traire les chamelles, élever les chamelons, les conduire au paturage, apprendre à parler le langage des camélidés, tondre la
précieuse laine des petits, les protéger du chacal...enfin de multiples tâches passionnantes sur lesquelles j'ai déjà réuni une abondante documentation.
En janvier, les bergers du Sahara rassemblent leurs troupeaux qui courent en liberté dans le désert pour les compter et les redistribuer, les marquer au fer. C'est le moment d'acquérir de
belles bêtes qui me conviendraient.
Ensuite, je serai en stage avec les hommes du désert pour apprendre mon nouveau métier.
Le dromadaire est une bête étonnante qui mérite le plus grand respect. J'aime la grâce tranquille de leurs mouvements et leurs longs cils qui abritent leurs gros yeux paisibles et cette douceur
inattendue chez une bête réputée dangereuse, qui lui fait baisser la tête pour se faire gratter le front.
Il ne faut pas cependant se laisser gagner par le romantisme car les dromadaires mâles sont des bêtes furieuses et rétives au moment du rut, il y a aussi les fugueurs irréductibles, les rebelles
qui râlent ou qui mordent, les mal dressés qui donnent des coups de sabot...
Mais en tombant amoureuse du désert, je suis aussi tombée sous le charme de cet animal qui a sauvé des peuplades nomades depuis des millénaires en se laissant apprivoiser afin de travailler pour
l'homme.
Il mérite également le respect par son contact écologique avec la nature, ne prélevant qu'une infime partie des ressources naturelles de la steppe, et faisant preuve néanmoins d'une
exceptionnelle résistance par des conditions extrêmes.
Cette aventure chamelière est motivée par le besoin de trouver des ressources dans ce coin de désert, afin d'aider à la rénovation des habitats et soutenir le développement des familles qui
vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Vivre dans le Djebel Dahar implique d'abandonner notre économie de marché. Ici nous vivons en communauté et la croissance des uns ne peut se vivre sans la croissance des autres. Tout élan que
nous donnons à l'économie doit être fait de manière respectueuse et raisonnée, doit viser à ne détruire ni la nature, ni le patrimoine, mais au contraire l'enrichir.
Tout effort de développement doit se poser la question du respect des coutumes et des
traditions et nécessairement coller à une activité existante dans ce patrimoine culturel saharien.
Un jour, un généreux mécène à proposé de nous offrir quelques quads pour développer l'activité du village. Bien sûr, les jeunes étaient tentés, car c'est une demande du grand tourisme actuel,
louer les quads pour des randonnées dans le djebel cela pouvait rapporter gros !
Mais je me suis insurgée contre ce "cadeau". Je leur ai dit :
"Imaginez les quads dévalant les pistes de la montagne avec le bruit des moteurs, effrayant les animaux, détruisant les plantes sauvages...L'écho renvoyant le bruit des moteurs à l'infini ! Vous
ne pouvez pas accepter de détruire votre environnement pour un peu de confort financier en plus...car le revers de la médaille c'est que désormais les visiteurs fuiront la montagne du Dahar, un
des derniers lieux préservés dans lequel nous pouvons vivre de manière authentique...Mais en revanche nous pouvons développer un éco-tourisme, dans lequel des touristes responsables viendront
pour partager un mode de vie authentique basé sur le respect"...
Alors les idées s'enchaînent et c'est alors que je me suis mise à penser aux dromadaires. Voilà ce qu'il nous faut ici pour nous aider dans notre travail et comme les jeunes berbères ne savent
pas s'en occuper (ils sont bergers de chêvres et de moutons mais ne connaissent pas les camélidés), avec l'aide d'Amor, mon ami du désert, je vais apprendre à gérer un troupeau.
Autre atout non négligeable, le lait des chamelles est ici considéré comme un médicament qui active la guérison des personnes malades, on dit même qu'il peut sauver la vie. Ce produit rare
sera redistribué s'il en est besoin, le petit dromadaire partageant alors le lait de sa mère
.
Bon, j'ai hâte de démarrer l'aventure. Je repars le 17 janvier en Tunisie, mon ghorfa m'attend et tous mes frères aussi. Je pose ma valise à Douiret, et je fonce vers Douz avec Amor pour
constituer le petit troupeau.