Elles ne parlent pas un mot de français mais dans leurs yeux ce sourire comme une flamme vivante vaut bien tous les langages.
Sur l'horizon le soleil se couche découpant les montagnes du Djebel Dahar, tableau irisé aux allures de film fantastique, quelques femmes berbères en robe rouge, bouffante sur les reins, un grand voile de broderie anglais blanche couvrant la tête, se hâtent vers leurs maisons. Leur démarche oscille de droite à gauche et leur vêture éclabousse de couleur la dernière rue du village qui s'arrête là, brutalement, au-dessus du vide, comme si la dernière pluie torrentielle avait entraîné tout un pan de montagne dans l'oued désertique.
L'odeur de la galette, plaquée sur la paroi de terre brûlante, empli l'espace, avant-goût de délice tiède, et déjà la salive humecte le palais tandis que le coq déchaîné entame une série de cris enroués pour saluer le soleil qui sombre glorieusement derrière la chaîne de montagne.
A l'intérieur de la grotte, la plus âgée des trois soeurs trie une grosse touffe de laine moutonneuse pour en tirer des fils torsadés qui serviront sur le métier à tisser pour un de ces merveilleux killims qui racontent l'histoire de leurs origines en asfour, en losanges, en motifs symboliques, premier langage du monde que leur culture n'a jamais oubliée.
Le coq désespéré de perdre la lumière s'est enfin apaisé. La tabuna est cuite. Je plonge la galette dans ce miel noir et liquoreux...et le temps s'est arrêté.