C'est
l'histoire d'une rencontre que les mots peuvent difficilement décrire. Je parlerai plutôt de sensations visuelles, olfactives, gustatives pour parler de cette immersion avec le monde berbère des
origines. Cela se passe à l'ouest de Ras-el-Oued. En face de Douiret se dressent des montagnes pyramidales qui cachent des trésors (dans tous les sens du terme...mais je vous raconterai cela une
prochaine fois ! :)). Aujourd'hui je vous présente "les tantes". Traduisez, les tantes de la famille de Raouf, c'est à dire trois soeurs qui habitent une petite maison troglodyte au sommet de la
colline de Ras El Oued. Elles sont tisseuses, bergères, cultivatrices. Elles n'ont pas trouvé de mari, car elles n'avaient pas de dot. Alors elles vivent là, comme autrefois, dans leur grotte.
Dans la cour, quelques poules et un coq, un four pour cuire la tabuna, délicieuse galette de pain qu'elles me font goûter avec la confiture de dattes noire et glissante et l'huile d'olive.
Inoubliable saveur.
Elles ne parlent pas un mot de français mais dans leurs yeux ce sourire comme une flamme vivante vaut bien tous les
langages.
Sur l'horizon le soleil se couche découpant les montagnes du Djebel Dahar, tableau irisé aux allures de film
fantastique, quelques femmes berbères en robe rouge, bouffante sur les reins, un grand voile de broderie anglais blanche couvrant la tête, se hâtent vers leurs maisons. Leur démarche oscille de
droite à gauche et leur vêture éclabousse de couleur la dernière rue du village qui s'arrête là, brutalement, au-dessus du vide, comme si la dernière pluie torrentielle avait entraîné tout un pan
de montagne dans l'oued désertique.
L'odeur de la galette, plaquée sur la paroi de terre brûlante, empli l'espace, avant-goût de délice tiède, et déjà la
salive humecte le palais tandis que le coq déchaîné entame une série de cris enroués pour saluer le soleil qui sombre glorieusement derrière la chaîne de montagne.
A l'intérieur de la grotte, la plus âgée des trois soeurs trie une grosse touffe de laine moutonneuse pour en tirer
des fils torsadés qui serviront sur le métier à tisser pour un de ces merveilleux killims qui racontent l'histoire de leurs origines en asfour, en losanges, en motifs symboliques, premier langage
du monde que leur culture n'a jamais oubliée.
A l'ouest de Ras El Oued, la nuit s'avance, tranquille, glissant dans l'espace comme un souffle qui répand le silence dans la vallée, aujourd'hui comme hier ressemble à demain et la
nuit n'en a cure, elle est reine du lieu et le doigt sur la bouche les djins se rassemblent pour quelque farandole sur les crêtes isolées.
Le coq désespéré de perdre la lumière s'est enfin apaisé. La tabuna est cuite. Je plonge la galette dans ce miel noir
et liquoreux...et le temps s'est arrêté.