Si l'envie de bêler avec la masse ovine me tiraille, permets que je donne à cette conique quelque chose de suffisamment personnel pour qu'elle ne te donne pas l'impression d'avoir été rédigée par un robot. Michel Mouton, ton personnage chauve, avec des implants ratés, thanatopracteur dans un 'morting' Da Vinci, n'a pas grand-chose pour séduire. Il ressemble à du lambda anonyme de classe moyenne, de ces gens sur lesquels on marche pour ne pas salir ses mocassins un jour de pluie.
Sa vie dans ce petit monde à peine uchronique, où le président a décidé une réforme très simplifiée (simpliste ?) de l'orthographe, se résume donc à repeindre des cadavres, pour leur donner forme humaine le temps de leurs derniers instants. Le tout sous la direction d'un sauvage, Thierry Lyonnais, patron capitaliste bien décidé à faire du fric sur le dos du mort des vivants... Ton Michel s'installe dans un petit cotage bien sous tous rapports, et s'apprête donc à vivre comme un autre, une vie normale.
Mais un malade mental surgit chez lui, s'installe à sa table, débouche ses bouteilles de pinard, se goinfre de fromage : violation de domicile, violation de vie privée, de vie rangée, violation de tentative pour rester anonyme et normal. La totale. Il lui raconte qu'ils sont frères, qu'il s'appelle Michel Mouton, le vrai, que lui, l'autre Michel Mouton, c'est une copie, le fait boire de la gnôle, fumer un pétard. Et puis... il disparaît. Laissant notre Michel sur le carreau, vidé, bourré, incapable de se lever le lendemain.
Il reviendra. Sûr. Et fera vivre l'enfer à Michel. Drogué, humilié, scarifié, insulté... Le Salo (orthographe simplifiée oblige), n'en a pas fini avec Michel. Ce qui déteint forcément sur son attitude au travail. Surtout le jour où il se fat surnommer le Père Gay (celui qui déboule, gare à tes boules...). La tentative de vie paisible implose : Michel part à la dérive, incapable de ressouder les morceaux d'un être fragile. Plongée dans l'abîme ou éclosion de la larve qui deviendra papillon ?
Voilà. Richard, tu conviendras avec moi que cet aperçu de ton bouquin n'est pas trop mal. Personnellement, je le trouve même chiadé. Ce qu'il me sera plus difficile de rendre, à moins de jouer moi aussi sur la hiérarchie des polices et leur multiplicité, c'est la structure vocale de ton texte. Parfois on crie, et pas besoin de didascalies pour le faire comprendre. Pareil quand on chuchote. Les mots sont grossis, ou rapetissés pour leur donner le volume sonore juste. Quitte à ce qu'ils prennent la page entière à eux seuls.
Et puis, dans ton uchronie, qui n'est, ne nous voilons pas la face, que notre monde assaisonné au cyanure, tu introduis cette langue nouvelle, pas vraiment une novlangue, juste des modifications pour donner le ton. Psychologie devient psikolojie, lunatique, lunatic et ainsi de suite, pour + de compréhension. Faut bien se conformer aux paroles du ministre de l'Éducation : « ce sont les mots qui mettent les élèves en difficulté » et lui « il est là pour défendre une école pour tous et non pas une école pour les élites ». Raison pour laquelle il envisage un cursus scolaire pour les moins doués, avec un maximum de 500 nécessaires à apprendre pour se faire comprendre.
Chapeau, Richard. J'aurais pas osé...
Richard Morgiève © crédits
Alors nous y voilà. Ton bouquin fini, j'en ai bavé un peu pour rentrer dedans. Pas facile de le supporter ton loustic loustique loustik, et pas évident d'accrocher avec ces manipulations de police que tu nous assènes en permanence. Ça change, ça dérange. C'est pas pareil. Mais on s'y fait. Et puis, quand Michel Mouton commence à vraiment perdre les pédales, tout devient un peu plus clair, plus sympathique. On sait que ça finira mal, que le monde calme et policé va basculer, d'une seconde à l'autre. Et là, c'est jouissif.Maintenant, est-ce que tu as choisi la solution de simplicité, est-ce que tout cela n'est qu'un exercice de style, j'en n'ai pas l'impression l'imprecion limpretion. Ton mouton, il donne envie de bêler à la Lune avec les autres, ignorant que le loup tapi dans l'ombre attend son heure. Et un mouton qui prend conscience qu'il va se faire bouffer, c'est tout de même plus rigolo. Surtout s'il décide de se rebiffer...
Retrouver Mouton, de Richard Morgiève, en librairie