Souvenirs de Moondog par Michel Risse, le 17 janvier 2010.
J’ai rencontré Moondog pour la première fois sur un disque. C’était une de ces compilations promotionnelles CBS, sorties en Europe sous le label « Pop Music Revolution » (« Fill Your Head with Rock » dans la V.O. sortie en 1970, je crois). Au passage, il faut reconnaître que ces promotions étaient autrement plus audacieuses et éclectiques que de nos jours, puisque sur le même double album à prix réduit j’ai pu découvrir Soft Machine, Laura Nyro, Chicago, Blood Sweat & Tears, Spirit… et Moondog, entre autres, avec « Stamping Ground ». Je n’ai jamais oublié ce morceau, probablement le plus bizarre parmi les trucs bizarres de ce disque, du moins pour un gamin de 15 ans de cette époque.
En 1982, lorsque le clarinettiste François Creamer, qui connaissait Jean-Jacques Lemêtre et jouait avec moi dans Herbe Rouge, m’a dit qu’il y avait besoin d’un batteur pour jouer des pièces de et avec Moondog pour un concert à Radio-France, ce morceau de Moondog m’est immédiatement revenu à l’oreille, et j’ai accepté avec enthousiasme.
Après une répétition de l’ensemble je ne sais plus où, nous nous sommes tous retrouvés à la maison de la radio, et nous avons rencontré Louis Hardin. Je me souviens que nous sommes allés ensemble à la cantine, où Moondog, à ma demande, m’a très simplement et gentiment récité le début de « Stamping Ground ». C’était plus qu’extraordinaire d’entendre ce texte, resté dans ma mémoire, avec exactement le même son, la même voix, mais en direct, sortant de son corps ! Il me parla aussi de ses instruments à percussion, et des sons des rythmes indiens qu’il avait entendus quand il était enfant. Il émanait de lui une gentillesse, une humanité très rare, une sorte de sagesse ; son personnage de prophète, de druide (il me faisait irrésistiblement penser à Panoramix) était parfaitement naturel. Avant d’entrer en scène, dans les coulisses, il repéra, je ne sais comment, une énorme grosse-caisse suspendue, s’en approcha pour la frapper légèrement de la main et apprécia : « Mmmh… nice bass drum ! ». Il dirigea tout le concert, soit avec sa baguette, soit en frappant la pulsation sur un tom basse (il n’avait pas apporté un de ses instruments). Toutes les parties de batterie étaient très simples mais très rigoureuses ; je me suis fait plaisir avec la partie de caisse-claire de « Paris » (le final du concert, je crois), qui était « ad lib » (libre). Nous n’avons pas joué « Stamping Ground », mais c’est probablement à l’ostinato de caisse-claire qui court sur ce morceau (et qu’on retrouve un peu sur « Bird’s Lament » que j’ai pensé en jouant. Moondog a eu l’air d’apprécier et m’a gratifié à la fin d’un « Nice snare drum ad lib ! », avec un sourire.
Moondog peut bien être taxé de compositeur « naïf », comme il y a des peintres naïfs, dont la fraîcheur et la sincérité permettent d’échapper aux « modernismes ordinaires d’une avant-garde instituée » (la phrase est de Daniel Caux), et qui nous touchent plus que tous les académismes. Or, ce qui est paradoxal chez Moondog, c’est que la forme est justement très académique – c’est même à chaque fois un devoir irréprochable de classe de contrepoint, d’harmonie ou d’orchestration. La naïveté n’est pas dans une quelconque maladresse structurelle, mais plutôt dans une innocence, une évidence, détachée des courants et des tendances qui atteint même une sorte de sagesse. Cette sagesse qui va si bien avec l’image de prophète qu’il a bizarrement cultivée (alors que l’image, en tant de non-voyant, lui était étrangère), se retrouve dans ses textes et ses paroles, là encore très simples, mais tout aussi parfaitement rigoureux que paraboliques.
Michel Risse
A propos de Michel Risse :
Multi-instrumentiste, décorateur sonore, électroacousticien et compositeur, il a étudié les percussions avec J-P Batigne (CNSM de Strasbourg) mais aussi avec les Gnaouas et Ahuaches d’Afrique du Nord, et au sein de divers groupes et « orchestres attractifs français ». Cette expérience de percussionniste et de poly-instrumentiste l’a mené dans de nombreux studios pour l’enregistrement de musiques de films, sur la scène des théâtres, et en compagnie d’artistes musicaux les plus divers, de Moondog à Vince Taylor en passant par Angel Parra, Nicolas Frize, Herbe Rouge ou le Grand Orchestre Bekummernis, tout en pousuivant des études de musique à l’université Paris VIII.
C’est dès 1972 qu’il compose ses premiers « décors sonores » , installations électroacoustiques pour lieux publics (Strasbourg : Porte de l’Hôpital puis Musée d’art moderne (1984), Fnac (1982), Agadir : hôtel Atlas (1977), Paris : Palais de Chaillot (1983).
L’invention du premier spatialisateur octophonique du monde pour le concert « Faux Vent » marque la collaboration et la fondation avec Pierre Sauvageot de Décor Sonore en 1985.
Il a enseigné les percussions et l’électroacoustique jusqu’en 1987.
Responsable des arrangements (« Changer d’air » de J-G Coulange, « Do Hit » de Metalovoice…) et de la réalisation audio pour de nombreux disques, il a également écrit une multitude d’articles pour la presse spécialisée audio (Zéro Vu, SoundCheck, Disc, Batteur Magazine) – notamment les rubriques-saga « Comment oublier rapidement tout ce que vous croyiez savoir » et « Le Petit Mixeur Illustré » pour le magazine Sono – et prépare un ouvrage sur le studio domestique.