Ou le monde comme une scène (”The World as a stage“) vient d’ouvrir à la Tate Modern, et durera jusqu’au 1er Janvier. Par rapport à l’exposition de Bernard Blistène au MACBA (qui sera d’ici une semaine au Musée Berardo à Lisbonne et ce jusqu’au 17 Février), c’est une exposition beaucoup plus littérale, moins conceptuelle. Elle montre une marionnette, une installation inspirée par Quasimodo, un amphithéâtre, une boutique de coiffeur, une prise de mesure du Global Theatre de Shakespeare, toutes choses intéressantes et respectables, mais plutôt anecdotiques, décrivant au premier degré les rapports entre art et théâtre.
Seules quelques pièces, impliquant davantage le spectateur, le mettant en situation, l’amènent à se poser les questions sous-jacentes : suis-je visiteur, spectateur, acteur ? mon rapport à l’oeuvre, la manière dont je la découvre, la parcours, me l’approprie, sont-ils différents ici et dans un théâtre ?
De ce point de vue, la pièce la plus frappante est Rotating Labyrinth de Jeppe Hein. Ce sont deux cercles concentriques faits de barres verticales couvertes de miroir, séparées par des vides de même largeur. De l’extérieur, on voit un reflet de la salle, des visiteurs, de soi-même; c’est une forteresse crénelée qui vous repousse et vous invite à la fois. Tournant autour, on voit une ouverture, quelques barres manquantes. On s’y glisse et, pour un instant, on est entre deux mondes, entre deux parois discontinues de miroirs. Le cercle intérieur tourne; là aussi, une ouverture, on s’y glisse. Suis-je au centre du Panoptique? Je ne vois le monde extérieur, le reste de la salle que par intermittence, quand les espaces vides s’alignent; sinon, c’est mon image que je vois, répétée cent fois, décomposée, démultipliée. Tout se ferme, s’obture, puis s’entrouvre à nouveau. C’est seulement alors que je réalise que le cercle extérieur tourne lui aussi, mais en sens inverse et sans doute à la même vitesse angulaire que celui de l’intérieur : c’est un mouvement d’abord imperceptible, qui génère un léger sentiment de malaise face à ce monde instable qui le révèle. Je voudrais rester seul, longtemps, dans ce centre du monde, dans cete scène idéale, où je suis observé et caché, observateur et appât.
La deuxième installation qui m’a retenu, plus épurée, moins spectaculaire, est, vers la fin de l’exposition, un large et sombre couloir aux murs peints en bleu, avec une moquette de la même couleur. Intrigué par cette pénombre après les salles claires du reste de l’exposition, j’avance précautionneusement et soudain, un projecteur s’allume au ras du sol. Mon ombre gigantesque s’affiche sur le mur opposé et danse au fur et à mesure de mon avancée. Un second projecteur s’allume alors, puis un autre et un autre. Mon ombre grandit ou diminue selon mon trajet. Ce n’est rien, et c’est toute une mise en scène : je prends conscience de mon corps, de ma position dans l’espace, sur cette pseudo scène, je traduis mes sensations en mouvements et mes mouvements en représentations, en ombres; C’est Séance de Shadow II de Dominique Gonzalez-Foerster (que vous avez peut-être déjà vu à Paris en 1998 au MAMVP).
A côté de ces deux pièces très fortes, on remarque aussi la re-création d’un affrontement entre mineurs et police dans l’Angleterre thatchérienne (The Battle of Orgreave Archive, de Jeremy Deller), mais on a le sentiment que l’artiste hésite entre discours politique, d’ailleurs un peu simpliste (le bien et le mal, les grévistes et les flics) et pas très intéressant en soi, et dimension conceptuelle de la re-création, que j’aurais aimée plus développée. A l’entrée, aussi, une photo de Trisha Donnelly montrant une femme dans la forêt : c’est une des 31 photographies de la performance du Corbeau d’Edgar Poe par la danseuse Frances Flannery. Chaque jour, la photo change; il faut venir 31 jours d’affilée pour voir la performance entière, qui ne saurait être qu’un souvenir évanescent, une mémoire incertaine. C’est tout simple et c’est très engageant. Et, au fait, à l’entrée, soyez aimable avec le ou la préposé(e) aux billets, vous ne le regretterez pas.
Dominique Gonzalez-Foerster copyright ADAGP : la photo de son installation sera retirée du blog à la fin de l’exposition.