Clint Eastwood n’arrêtera donc jamais. Avec trois films sortis en quinze mois, le réalisateur enchaîne les tournages à un rythme fou. Après Gran Torino, l’une de ses œuvres les plus personnelles et les plus réussies, il livre avec Invictus un portrait de Nelson Mandela à travers son rôle crucial dans l’unification de l’Afrique du Sud, pendant la Coupe du monde de Rugby de 1995. Hélas, malgré l’interprétation très réussie de Morgan Freeman, Eastwood ne se foule pas et déroule sa force tranquille sans surprise.
La repentance et le pardon sont deux thèmes chers à Clint Eastwood, incontournables des personnages qu’il a lui-même interprétés dans Impitoyable, Million Dollar Baby ou Gran Torino. Facile de comprendre pourquoi le cinéaste a été séduit par la biographie de Nelson Mandela par John Carlin, Playing the Ennemy : Nelson Mandela and the Game that made a nation. En 1995, fortement divisée socialement et économiquement alors que l’apartheid s’achève à peine, l’Afrique du Sud voit en Mandela l’avènement de son premier Président noir. Celui-ci fraîchement élu saisit alors l’opportunité de la Coupe du Monde de rugby - qui se déroule dans le pays - pour réunifier son peuple autour d’un enjeu commun : la victoire de l’équipe nationale.
Invictus (dont le titre fait référence à un poème d’Ernest Henley) est avant tout le portrait d’un homme politique mythique, incarné avec maestria par Morgan Freeman. L’acteur est Nelson Mandela, dans sa voix comme dans ses gestes, et trouve peut-être ici le plus beau rôle de sa carrière. La sagesse qu’il incarne et le message humaniste qu’il transporte sont le fil rouge du film. Chaque scène en est le vecteur, certes politiquement correct, mais jamais cliché. Il faut dire qu’Eastwood sait mieux que quiconque croquer ses personnages et leur donner une profondeur en quelques traits à peine accentués. Il en va de même pour François Pienaar - le capitaine de l’équipe de rugby joué par Matt Damon -, au final peu développé mais suffisamment bien cerné pour être juste.
Reste que le scénario ne se concentre pas vraiment sur ses personnages. Peu approfondie, la psychologie de Mandela met l’homme de côté. De son passé, l’on ne saura pas grand-chose. Même s’il aurait été intéressant d’en filmer les contradictions internes, le propos n’est pas là, Eastwood semblant se positionner sur une toute autre échelle. Invictus est le récit d’un destin collectif unifié autour du sport et porté par une légende. Mais autant cette histoire s’avère belle, grande et puissante, autant le film qui en découle déçoit un peu.
Certes, Eastwood est contraint de coller à la réalité des faits. Mais en simplifiant trop la trame narrative, le scénario ne laisse place à aucune surprise. Là où Gran Torino multipliait les enjeux dramatiques autour de Walt Kowalski et de la communauté Hmong tout en laissant planer l’ambiguïté bien/mal, Invictus est le portrait idéalisé d’un Homme bon et convaincu, sans l’ombre d’un doute ou d’une hésitation. Trop sage et univoque, le propos paraît non seulement peu réaliste, mais manque cruellement de piquant et d’intérêt. Si le message de tolérance et d’altruisme ne peut que séduire - bien qu’étant politiquement correct, il est regrettable que le cinéaste ne se penche pas davantage sur l’ambivalence de la nature humaine et ne se cantonne, au final, qu’à un film-hommage consensuel. Dommage. Car la mise en scène, précise et efficace, reste malgré tout d’une sobriété exemplaire, les dialogues demeurent pertinents et bien écrits, tandis que le montage des scènes de matches impressionne par sa virtuosité.
On respire. Invictus est sauvé par l’interprétation d’un acteur talentueux et par le talent de son réalisateur. Il faut dire que Morgan Freeman et Clint Eastwood se portent chance : leurs collaborations par leur passé (avec Impitoyable et Million Dollar Baby) ont toutes deux été récompensées par l’Oscar du Meilleur film et du Meilleur réalisateur. Mais en sera-t-il de même ici ? Rien n’est moins sûr.
Crédits photos : © Warner Bros. France