Le Maroc doit véritablement faire face à son passé marqué par les atteintes aux droits humains. Les autorités marocaines n’ont pas tenu leur promesse de faire face à un passé empreint de violations flagrantes des droits humains commises au Maroc et Sahara occidental entre 1956 et 1999, a déclaré Amnesty International à la veille de la publication d’un rapport sur ce sujet.
Selon l’organisation, les autorités marocaines n’ont pas rendu justice aux nombreuses victimes des « années de plomb », décennies durant lesquelles des centaines de personnes ont été victimes de disparitions forcées, tandis que des milliers subissaient détentions arbitraires et actes de torture.
La commission officielle mise sur pied par le roi Mohammed VI il y a six ans pour enquêter sur les atteintes aux droits humains commises par les services de sécurité marocains entre 1956 et 1999 n’a pas véritablement permis de résoudre les séquelles de ces violations.
L’Instance Équité et Réconciliation (IER) a achevé ses travaux il y a quatre ans. Le roi a alors chargé le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), organisme national de protection et de promotion des droits humains, d’assurer le suivi des travaux et des recommandations de l’IER.
N’ayant pu dévoiler qu’une partie de la vérité sur les violations manifestes des droits humains commises par le passé, l’IER n’avait pas pour mandat d’engager des poursuites au nom des victimes. Elle a recommandé de mener plusieurs réformes juridiques et institutionnelles pour s’assurer que de telles violations ne se reproduisent pas, mais l’écrasante majorité de ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre.
Le CCDH doit publier un rapport ce jeudi 14 janvier 2010, précisant les initiatives qu’il a prises afin de donner suite au travail de l’IER.
Dans son rapport publié le 6 janvier, Morocco/Western Sahara : Broken Promises : the Equity and Reconciliation Commission and its follow-up, Amnesty International a fait part de son inquiétude relative à la lenteur de la mise en œuvre des recommandations de l’IER. L’organisation appelle le roi Mohammed VI à honorer les attentes suscitées par le travail de cette commission.
« Afin de ne pas remettre en cause les progrès accomplis depuis l’inauguration de l’IER en 2004, il est crucial que les autorités marocaines remédient aux insuffisances et aux lacunes du processus de réexamen du passé », a indiqué Malcolm Smart, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
Le recours systématique à la torture et aux autres formes de mauvais traitements, les disparitions forcées et la détention arbitraire de milliers de personnes ont caractérisé cette sombre période sous le règne du roi Hassan II (1961-1999).
Des centaines de personnes ont disparu entre les mains des services de sécurité marocains, notamment lorsque les autorités se sentaient menacées par l’opposition tant interne qu’externe.
Parmi les victimes de disparitions forcées figuraient des militants de partis d’opposition, des syndicalistes et même des agriculteurs qui avaient pris la tête de manifestations.
Ce phénomène a touché de manière disproportionnée les Sahraouis. La plupart d’entre eux auraient été pris pour cible en raison de leur soutien réel ou présumé à l’indépendance du Sahara occidental, territoire annexé par le Maroc en 1975.
L’IER a rendu public son rapport final en janvier 2006. Elle a reconnu la responsabilité des autorités marocaines dans les atteintes graves aux droits humains qui avaient été perpétrées, recommandé que des réparations soient accordées aux victimes et invité les autorités marocaines à prendre de nouvelles mesures visant à garantir que de telles violations ne se reproduisent pas.
Dans son rapport, Amnesty International met en garde contre le fait que quatre années après la fin de la mission de l’IER, ses résultats risquent d’être compromis par l’absence de volonté politique des autorités marocaines.
Elle ajoute qu’il leur incombe de tenir leurs promesses et de mettre en œuvre les principales recommandations émises par l’IER visant à éviter la répétition des violations.
L’IER a enquêté sur plus de 700 cas de disparitions forcées survenues entre le milieu des années 1960 et le début des années 1990.
Elle a annoncé qu’elle avait résolu 742 affaires de disparitions forcées. Après avoir enquêté sur les 66 dossiers restants, le CCDH a confirmé en avoir élucidé une soixantaine.
Toutefois, en dépit des promesses répétées, la liste de toutes les affaires élucidées n’a toujours pas été rendue publique.
Dans son rapport, Amnesty International dénonce le fait que l’IER n’a pas recommandé aux autorités marocaines de rendre justice aux victimes, suite logique à son travail d’investigation sur les atteintes aux droits humains.
Elle n’a pas non plus préconisé de mettre en place un mécanisme de contrôle afin de veiller à ce que les représentants de l’État pouvant raisonnablement être soupçonnés de violations des droits humains soient suspendus.
Amnesty International reconnaît que des mesures positives ont été prises ; les victimes ont notamment bénéficié d’une indemnisation financière, mais aussi d’un programme de réadaptation médicale et de réinsertion sociale. Cependant, aucun mécanisme d’appel n’est prévu pour leur permettre de remettre en cause les décisions qui les concernent.
« Amnesty International est convaincue qu’il ne saurait y avoir de réconciliation véritable tant que l’on n’aura pas rendu leur dignité aux victimes en leur fournissant une explication complète sur les raisons pour lesquelles elles ont été prises pour cibles, a conclu Malcolm Smart.
« Tant que les auteurs présumés des violences n’auront pas à rendre compte de leurs crimes devant la justice et que de réelles garanties visant à protéger la société contre la répétition de telles violations flagrantes des droits humains n’auront pas été données, les discours sur une réelle volonté d’affronter le passé dans le but de construire un avenir meilleur sonneront creux. »
16/01/2010 /continentalnews.fr/