On m'avait prévenu, le dernier Clint Eastwood dans lequel
Morgan Freeman interprète Nelson Mandela, est pétri de bons sentiments. Tout au long de l'histoire, le capitaine des Springboks et de nombreux personnages secondaires sont touchés par une sorte
de grâce qui leur permet de dépasser leurs préjugés et leur ressentiment, pour s'ouvrir sans autre résistance au partage d'engagement et d'émotions avec leurs frères humains, au-delà des
différences de couleur de peau et de statut social. Nombre de critiques jugent le film avec une certaine sévérité, reprochant à Clint Eastwood d'avoir cédé à la tentation de donner une image
simpliste et enjolivée d'une réalité plus complexe, et nettement moins reluisante. La preuve en serait la situation actuelle de l'Afrique du Sud, et la lenteur des progrès réalisés dans la lutte
contre les inégalités. Bien sûr, on peut remettre le film dans une perspective historique et contester aussi bien l'image de réconciliation interraciale que l'absence d'allusion au travail
préalablement accompli par Frederik de Klerk avec le referendum de 92 pour la réforme de l’apartheid. Mais je ne crois pas que le propos de Clint Eastwood soit de réécrire l'histoire. Je suis
sorti de la séance avec une pensée pour mes parents qui auraient aimé ce film, même aux dernières années de leur vie, après avoir connu les oppressions et les violences que leurs origines
sociales et le cours de l'histoire leurs avaient imposées. Ils n'auraient pas eu, malgré leur vécu douloureux, la moindre critique à formuler sur un message d'espoir et de confiance en l'espèce
humaine. Ils savaient par expérience qu'au fond de chacun il reste un désir de partage qui trouve parfois son chemin entre les couches durcies de peurs et d'ambition, pour peu que les
circonstances ou la force morale d'un homme hors du commun viennent ébranler l'édifice des certitudes rassurantes. Ils ne se seraient pas étonnés de voir ces hommes sortir aussi soudainement de
leur indifférence ou de leur réserve pour tendre la main et manifester leur respect à ceux qu'ils méprisaient un instant plus tôt parce que ça leur était arrivé, et qu'ils l'avaient vu arriver à
d'autre. L'histoire de l'humanité est un interminable match de rugby entre le bien et le mal, et Clint Eastwood avait envie de nous montrer quelques essais marqués par le bien. C'est tout, et
c'est beaucoup à cette époque où nous ne sommes pas vraiment étouffés par l'omniprésence des bons sentiments, ceux de fraternité. Je crois avoir compris ce que signifie "je suis le maître de mon
destin" sous la plume d'un homme que l'on vient d'amputer d'un pied, et dans la bouche d'un autre enfermé pendant vingt sept ans. Nous ne sommes pas maîtres de ce qui nous arrive, mais nous
sommes responsables de ce que nous devenons.