Depuis le triple album Rendez vous, Eric Truffaz promène sa trompette un peu partout, en compagnie de Philippe Garcia à la batterie, et de Sly Johnson, ex beatbox et vocaliste du Saïan Supa Crew. Ils n'avaient pas joué ensemble depuis Novembre ; " à chaque fois qu'on se retrouve après un certain laps de temps, la rencontre est toujours animée d'un feu...certain", dira Éric Truffaz. Un feu d'artifice en fait, où sont rentrés librement en fusion Jazz, Hip Hop, Soul, Dub, Ambient et Électro.
La fusion est devenue le signe distinctif d'un artiste qui refuse de s'enfermer dans la forme groupe, pour lui préférer la géométrie variable des collaborations multiples, les aventures de l' hybridation, y compris pour un même album. C'était le cas pour Rendez vous : trois disques, trois villes (Paris, Benares, Mexico), et trois collaborations. Fabien nous avait rendu compte, l'année dernière, du volet mexicain, électrojazz (Feat. Murcof). Mais c'est le volet parisien qui est joué et revisité sur scène, avec Sly Johnson.
Sly Johnson c'est l'homme-orchestre, ou plutôt devenu orchestre, un Rémy Bricka Hip Hop soulfull, qui aurait largué sa minerve et tout son bordel de tétraplégique. Human bass, human beatbox, human turntable, roi des claquements de langue, des coups de glotte, du doo-wap old school, du phrasé hip hop, il est capable des vocalises soul les plus subtiles. Pour sûr il impressionne, mais sait aussi se mettre au service des autres, pour assurer simplement une boucle de basse. Taillé comme un Mike Tyson, il est le partenaire idéal du filiforme Éric.
Le concert s'ouvre sur un hommage délicat au Rock bottom de Robert Wyatt, qui ne rechignait pas lui même au bruitage vocal, comme le prouve le final du premier morceau du même album. Puis c'est le groove endiablé de "The Fly", avec son intermède scratch, qui fait son effet et réveille le sage public annecien; puis aller- retour pour "Addis Abeba", son dub possédé, sa basse profonde, sa batterie explosive et réverbérée. L'usage du jam-mam est le procédé central du concert : Sly en use pour construire ses rythmiques, mais Truffaz également, qui enregistre une boucle de trompette, pour y jouer, par dessus, une mélodie à la trompette bouchée. On a l'impression d'assister, à chaque fois, à une genèse. Les joutes rythmiques Sly/Garcia sont autant d'intermèdes ludiques épatants (irrésistible, même pour ceux, comme moi, qui ont tendance à s'emmerder pendant les interminables solo de batterie bebop).
Le concert se termine par un formidable morceau ambient, en plein cœur d'une impénétrable forêt primaire, pulsée par les basses de Sly, bercée par la trompette feutrée de Truffaz et la musique concrète de Garcia, aux commandes d'un sampler. Le rappel est copieux, où Sly chante enfin, et fait montre d'une tessiture ample qui va râcler les graves, et réveiller les mânes d'Amstrong. Le show man qui dormait en lui se réveille ; il amuse le public, cabotine, et termine par une présentation de ses frères blancs ("from an another mother" bien sûr) à mourir de rire. La petite histoire raconte que la rencontre Truffaz/Sly a bien failli ne jamais avoir lieu. Il n' y a pas de rencontre improbable en musique, il suffit d'avoir du talent.
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