"Grandes écoles : rêveuse bourgeoisie ! (La chronique d'Alain-Gérard Slama)
C'est, sauf erreur, l'historien Raoul Girardet qui, dans un cours sur le fascisme professé à Sciences Po vers le milieu des années 1950, a le premier évoqué - avant François Furet - la «haine de soi» de la bourgeoisie comme une des sources des totalitarismes du XXe siècle. Cette haine de soi renvoie, depuis la Révolution française, au sentiment de culpabilité éprouvé par les nouvelles classes ascendantes devant le décalage entre les valeurs qu'elles professent et la réalité de leur confort matériel. Drieu la Rochelle a esquissé le thème dès 1937 dans un roman intitulé avec grâce Rêveuse bourgeoisie. (...source)"
Haine de soi, haine de soi...peut-être.
"Il fut un temps où ce qui était supposé menacer l'ordre social et les traditions civilisatrices de la culture occidentale, c'était la révolte des masses. De nos jours, cependant, il semble bien que la principale menace provienne non des masses, mais de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie. Dans une mesure inquiétante, les classes privilégiées -les 20% les plus riches de la population, pour prendre une définition large- ont su se rendre indépendantes non seulement des grandes villes industrielles en pleine déconfiture mais des services publics en général. Elles envoient leurs enfants dans des écoles privées, elles s'assurent contre les problèmes de santé en adhérant à des plans financés par les entreprises où elles travaillent et elles embauchent des vigiles privés pour se protéger contre la violence croissante qui s'en prend à elles.
Elles se sont effectivement sorties de la vie commune." (Cristopher Lasch, La révolte des élites, 1996)
1-ces élites, si bien décrites par Lasch, imposent la norme, sont le pouvoir, le centre, non la marge.
2-ces élites se figurent en marge de la société, en rebelle à un ordre dominant fantasmé, conservateur voire réactionnaire et moralisateur.
3-la posture pseudo-émancipée, pseudo-rebelle ou transgressive de ces élites cache, en fait, une soumission totale à la mondialisation et l'aliénation marchande, une approbation sans réserves de la vision anthropologique de Lasch : l'homme psychologique, dernier avatar de l'individualisme bourgeois.
4-l'élitisme républicain, autrefois célébré à juste titre comme une victoire, est aujourd'hui donc attaqué par ceux qui se présentent comme les héritiers du camp républicain (non les « héritiers » au sens Bourdivin...) alors même qu'ils en sont les fossoyeurs.
5-la méritocratie, acquis républicain s'il en est, et assise des classes moyennes occidentales et de leurs élites, est aujourd'hui contestée au nom d'une conception dévoyée de l'égalité et de la sacro-sainte "lutte contre toutes les formes de discrimination".
6-il y a certainement comme le dit Slama, de la mauvaise conscience de la part de nos amis du désastre : ils savent qu'en 50 ans de réformes scolaires inspirées par Bourdieu ou Meirieu, ils ont détruit l'école et toute possibilité d'ascension sociale, ils savent, comme le dit Slama, que le problème se situe en amont dans le cursus primaire et secondaire mais ils ne feront rien pour y remédier. Pourquoi ? Bonne question...Après l'école, l'université, c'est donc le tour des grandes écoles, dernier bastion de l'élitisme et de l'excellence.
7-les Descoings et Cie, savent tout cela mais feront TOUT pour arriver à leurs fins. Il y a beaucoup de veulerie dans cette attitude suicidaire. Ces élites se savent à l'abri du désastre, savent leurs enfants, ceux de leurs amis à l'abri du sort commun, savent que leur génération n'aura pas à en pâtir. Et après ? Ils s'en foutent : l'égoïsme hédoniste le dispute à l'aveuglement car ces enfants de la méritocratie sont en train de détruire sciemment une partie de l'ordre social, un pan de la tradition culturelle occidentale avec la meilleure bonne foi, la caution du Bien.
8-dernier point, ces 30% de boursiers obligatoires ne seront évidement pas de jeunes caucasiens Aveyronnais ou Savoyards méritants, ce seront de jeunes africains, maghrébins ou noirs, sélectionnés non pas sur leur mérite ou leur travail ou encore leur situation sociale, mais sur leur couleur de peau ou leur patronyme. Ou comment institutionnaliser la discrimination raciale (positive pour les uns, négative pour les autres) au lieu de reconstruire un système éducatif émancipateur et méritocratique.
De l'aveuglement, de la mauvaise conscience, de la bêtise, de la soumission au politiquement correct, sans doute.
Surtout de la lâcheté, finalement : pourquoi ne pas organiser le chaos dés lors que l'on sait pouvoir y échapper ?