Il traversa donc la mer Caspienne, parmi les tankers de la Bnito et les bancs d'esturgeons, embarqua à Krasnovodsk sur le Transcapien, qui lui fit longer le Qaraqum dont l'immensité béait bizarrement à gauche, tandis qu'à droite, telle une parabole, des fossés d'irrigation et des champs de coton s'étendaient jusqu'aux montagnes. Des vendeurs de melons attendaient aux arrêts citerne. Ce qu'il trouva mémorable, chemin faisant, ce fut moins le paysage qu'une sorte de métaphysique ferroviaire, tandis qu'il se tenait entre deux wagons, dans le vent, regardant d'abord d'un côté, puis de l'autre, deux morceaux radicalement différent de pays. Des plaines défilaient de droite à gauche, des montagnes de gauche à droite, deux courants opposés, chacun porté par la masse inimaginable du monde visible, chacun s'écoulant à la vitesse du train, une collision continue dans le silence, d'une évidente nature vectorielle du train, une collision continue dans le silence, d'une évidente nature vectorielle, hors celle du temps et de sa conscience scindée en deux observations. Comme on pouvait s'y attendre, le fait de pivoter à quatre-vingt-dix degrés depuis un axe temporel mobile vous expédiait dans un espace contenant des axes imaginaires – le voyage semblait se dérouler en trois dimensions, mais il y avait les éléments ajoutés. Le temps ne pouvait pas, d'une certaine façon, aller de soi. Il accélérait et ralentissait, telle une variable dépendant d'autre chose, une chose, jusqu'ici au moins, indétectable.
Thomas Pynchon, Contre-jour, Seuil, trad : Claro, P.842.
Commencé 2 décembre, hier terminé, mais j'ai loupé la fin (de Contre-jour). Impression(s) de déjà vu. Voyage qui m'a pris je sais pas quand, m'a emmené je sais pas où, laissé je sais pas comment. Durant ces lignes deux images : celle d'un dynamiteur fou que j'ai casé partout sans savoir et celle du Transsibérien, traversé de gauche à droite, et qui m'attend.